Questionner la masculinité pour changer de paradigme : c’est l’angle que la journaliste féministe Victoire Tuaillon a choisi dans son podcast Les Couilles sur la Table.
Texte de Camille Bazinger, photos de L’Outarde Libérée
« J’ai lu King Kong Théorie à 16 ans, c’est un des textes les plus importants du féminisme du 21ème siècle, explique Victoire. Toute l’idée du podcast se trouve dans ce livre. » Partant du constat que c’était le masculin qui, encore en 2020, est considéré comme neutre et universel, le podcast interroge cette situation et ses effets sur les individus et la société.
[soundcloud url= »https://api.soundcloud.com/tracks/719869669″ params= »color=#ff5500&auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&show_teaser=true&visual=true » width= »100% » height= »100″ iframe= »true » /]Un podcast féministe
L’approche adoptée est explicitement féministe, même si Victoire Tuaillon n’est pas militante au sein d’une association. « Je suis militante au sens de Sartre : dans la vie, dans le monde, explique-t-elle. Je pense que si une personne se prétend objective ou neutre, c’est un mensonge, il s’agit d’affirmer clairement les perspectives à partir desquelles on parle. »
Les bases sont alors posées : en féministe qu’on va nous parler, et il est temps de rendre à ce terme toute la noblesse qu’il mérite. Avec des intervenants tels que Virginie Despentes, Maïa Mazaurette, Didier Eribon ou Robin D’Angelo, les épisodes apportent un vrai contenu journalistique documenté, actuel, pertinent, trans-générationnel. « J’aime le format pédagogique et me demande toujours : est-ce un sujet utile? Va-t-on apprendre des choses, » explique Victoire Tuaillon.
Au-delà d’un contenu culturel riche, le podcast peut servir comme outil d’information. S’il est parfois compliqué d’avoir des discussions avec son entourage relatives au genre, à la sexualité, ou tout simplement à la place de la masculinité dans notre société, on trouve ici un moyen simple de communiquer sur ces questions parfois polarisantes. Les sujets « concernent des choses qu’on aurait dû apprendre à l’école, et à les rendre accessibles et compréhensibles, explique Victoire. Je ne présuppose jamais des connaissances de mes auditeurs, car on a le droit de ne pas savoir. »
La réflexion continue
Plus de deux ans après le lancement du podcast, Victoire Tuaillon est dans une période de recherche. Après la publication d’un livre en octobre 2019 – du même nom que son podcast, il s’agit pour elle de continuer à démystifier ces sujets-là, tout en allant plus loin. « On peut parler très longtemps de masculinité, parce que le genre infiltre tous les domaines de la vie et de la société, » explique-t-elle.
Mais ce sont les relations humaines qu’elle pense vouloir approfondir pour ses prochains projets, « dans ce qu’elles ont de très concret : la façon dont on parle, interagit, travaille… Ce sont véritablement des questions politiques, cette idée de rapports de pouvoirs collectifs que sont le genre, la classe, la race… » explique Victoire. Une continuité de son travail actuel, mais proposant une approche peut-être plus sociologique et plus ciblée que celle proposée dans le podcast jusqu’alors.
L’amour également l’intéresse, « car c’est un des sujets les plus mystifiés aujourd’hui, rappelle-t-elle. Autant qu’arrêter de fumer, entretenir des relations riches et profondes est un aspect essentiel de nos vies, et l’ordre du genre définit la masculinité comme un ensemble de qualités qui empêche d’avoir des relations profondes. Ces critères sont intenables et mutilants. » D’après elle, on appelle amour beaucoup de choses qui n’en sont pas – la jalousie, l’envie, le contrôle sur l’autre. Réciproquement, on ne donne pas ce mot à beaucoup de choses qui en sont, « on méprise un certain nombre de liens qui sont profonds et importants. »
En cherchant à faire des ponts entre psychologie et développement personnel, Victoire entend repolitiser ces questions : questionner l’impact des constructions de genre sur l’individu, dans sa sphère personnelle, mais également dans la société comme collectivité. « Je trouve qu’on fait preuve d’une grande complaisance par rapport à la classe des hommes: collectivement, on n’est pas assez exigeants ou on ne se base pas sur les bons critères, » ajoute-t-elle. Et l’on comprend au fil du podcast que les conséquences de cela affectent toutes les couches de la société.
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« Il est très récent de ne plus utiliser le terme crime passionnel lorsqu’on parle d’un féminicide, constate Victoire. Le congés paternité est non obligatoire et d’une durée de 11 jours, le monde du travail est organisé comme si les femmes allaient s’occuper gratuitement des enfants, il n’y a pas d’éducation sexuelle digne de ce nom à l’école. » Il ne s’agit donc pas d’une responsabilité individuelle uniquement. Il est essentiel pour changer quelque chose à l’ordre du genre de mettre en place de grandes politiques publiques. « On n’arrivera pas à réduire le nombre d’agressions ou de harcèlements sans cela, » ajoute-t-elle.
Un autre constat s’impose : la société est organisée, structurée de façon très inégalitaire. Et c’est selon elle une problématique présente dans beaucoup de pays. « Souvent, on a envie de voir des paradis, on parle souvent des pays du nord par exemple. Mais je pense qu’il faut faire des liens avec l’ordre capitaliste dans lequel on vit. Il est possible que l’économie capitaliste ne fonctionne que grâce au travail gratuit d’un certain nombre de populations – femmes, prisonniers, enfants, personnes racisées… »
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