Presque deux ans après sa sortie au Québec, le film de Myriam Verreault et Naomi Fontaine, Kuessipan, entame une carrière sur les écrans français, dans 100 salles dont 16 à Paris et dans sa banlieue. Il sortira ensuite dans les salles belges et suisses françaises, puis celles de la Suisse allemande (sortie 12 août) et des Pays-Bas (23 septembre). Les recherches pour ce film ont débuté en 2012 et nécessité, durant cinq années, plusieurs voyages dans la communauté innue. Mais le résultat est magnifique puisque ce film a reçu le prix du meilleur film au Festival de cinéma de la ville de Québec, le prix du meilleur film à Windsor, Moncton, Baie-Comeau, Annonay, Nashville et Amiens ainsi que des mentions spéciales dans de nombreuses villes à travers le monde.
Dans cette histoire, Myriam Verreault suit le destin de deux adolescentes Mikuan (Sharon Fontaine-Ishpatao) et Shaniss (Yamie Grégoire), issues de la communauté innue de Uashat Mak Mani-Utenam, sur la Côte Nord du Québec. Ces deux adolescentes, bien que très proches depuis l’enfance, se révèlent, en fait, bien différentes car si l’une fonde, coûte que coûte, une famille, dans une réserve, pour perpétuer Le Peuple, l’autre ne rêve que de s’échapper et de sortir de « sa condition ».
Loin d’être un documentaire soporifique sur la communauté Innue et les habitants du Nord du Québec, ce film est un petit bijou de sensibilité qui, cependant n’élude jamais les questions qui font mal ou qui se posent aux populations autochtones. En effet, tourné dans des paysages extraordinaires, cette chronique sociale, jouée par des acteurs non professionnels, fait bien plus que de montrer l’éducation sentimentale que découvrent les deux amies parce que surgissent, tout au long de l’histoire, des questions identitaires sur la liberté d’un peuple, la place de ses traditions, sa place propre dans la modernité et sur une terre dont ils ont été dépouillés… Toutefois, si ces questions sont posées judicieusement et sans acrimonie, elles ne donnent lieu à aucune réponse préétablie, préférant laisser le spectateur se forger sa propre idée en regardant et en écoutant les comédiens évoluer dans l’histoire.
Une phrase du film résume parfaitement cette démarche : « En langue innue, le mot « liberté » n’existe pas. Tout au plus pourrait-il signifier « fin de l’enfermement », disparition de la clôture des regards méfiants et des lourds préjugés. »
Loin des lieux communs sur les autochtones, ce film est très librement inspiré du premier roman (paru en 2011) d’une jeune romancière innue de 23 ans, Naomi Fontaine, cosignataire du scénario avec la réalisatrice. Kuessipan se révèle comme un beau récit, à la fois poétique, intelligent et sensible. De plus, la voix off de Mikuan rythme, tout au long du film, une ambiance de tristesse de cette communauté Innue, entrée dans la modernité, presque contre son gré, porteuse d’une tradition de solidarité et d’entraide à fleur de peau et en même temps, elle souligne le combat de Mikuan qui doit « affronter » sa communauté parce qu’elle tombe amoureuse d’un blanc, d’un québécois, que sa famille va finir par tolérer sans jamais l’intégrer vraiment.
Kuessipan qui signifie « à toi » ou « à ton tour » est donc une perle dans notre paysage cinématographique actuel un peu morose et en mal d’inspiration. Ce film est beau, simplement, bouleversant, avec force et tendresse ; ce film est intelligent parce qu’il suggère plutôt que d’imposer ; ce film est lumineux et cela n’est pas simplement du à la lumière boréale…