Dimanche dernier, la 21e édition du festival Cinémania s’est achevé sur un succès, aux dires des organisateurs. En effet, cette édition a enregistré un nouveau record d’assistance dépassant les attentes de l’équipe du Festival. La fréquentation a connu une augmentation de 27% par rapport à l’année précédente. Faisant la part belle aux festivals de Cannes, Berlin, Venise et Toronto, la sélection de Cinémania en 2015 comptait 44 films dont 40 Premières, trois films de rétrospective et trois documentaires.
Parmi la sélection, nos journalistes ont pu voir en avant-première, Floride, Une histoire de fou et Taularde.
Par Léopoldine Frowein
Floride – Sortie en salles au Québec, le 27 novembre
Philippe le Guay, notamment connu pour avoir réalisé Les Femmes du 6e étage et Molière à bicyclette, a présenté son tout dernier film intitulé Floride, lors de son récent passage à Montréal dans le cadre du festival Cinémania. Inspiré de la pièce de Florian Zeller «Le Père», et mettant en scène le fabuleux duo Jean Rochefort/Sandrine Kiberlain, Philippe le Guay nous conquit avec un film d’une grande beauté et d’une grande finesse où la responsabilité de chacun, l’engagement et le devoir de mémoire en sont les lignes fortes.
C’est avec légèreté et finesse que le cinéaste a décidé d’aborder un thème pourtant tragique et émouvant, celui de la vieillesse et des folies qu’elle peut entraîner. Les maisons de retraite représentant un enjeu d’actualité, on s’étonne agréablement qu’il dépeigne sur une note si humoristique la relation entre un père atteint d’Alzheimer et sa fille, elle-même partagée entre la maladie de son paternel et ses responsabilités à la tête de l’entreprise familiale.
Pourquoi avoir choisi l’humour plutôt que la commisération?
« Il ne s’agit pas tellement d’une comédie dramatique au sujet de la démence d’un octogénaire et du sacrifice d’une jeune femme. Le but de ce film est de montrer la relation fusionnelle entre un père et une fille. Ma propre soeur a toujours recherché l’approbation de son père, le lien qui les unissait m’a profondément marqué et c’est la raison pour laquelle, entre autre, j’ai décidé d’écrire ce scénario », précise Philippe le Guay.
Une prestation remarquable de la part de Jean du Rochefort
Rusé, lubrique, vindicatif, avare. Mais aussi enfantin, naïf, craintif, généreux. Le célèbre acteur concentre dans un même personnage tous les états d’un homme dans des moments très brefs. Jean Rochefort séduit, irrite, effraye et attendrit.
Au final, tout comme Carole, la fille de l’octogénaire interptété par Sandrine Kiberlain, on choisit de s’attendrir face à tant d’amour et de patience pour un père parfois acariâtre et blessant.
Finalement, ce film touche autant par ses dialogues pleins d’humour que par sa faculté à basculer dans un abîme, notamment à travers les apparitions de la seconde fille, défunte, du vieil homme refusant d’affronter une réalité devenue insupportable en jouant les vieux fous meurtris.
« Une histoire de fou », tout un exemple de résilience – Sortie en salles au Québec, mars 2016
Robert Guédiguian, dans son dix-neuvième long-métrage, une histoire de fou, mettant en scène Ariane Ascaride, Simon Abkarian, Grégoire Leprince-Ringuet et Syrus Shahidi, livre une fresque mélodramatique sur les conséquences du génocide arménien, et suscite également une véritable réflexion identitaire. Inspiré de l’incroyable histoire du journaliste espagnol José Gurriaran, auteur de « La Bombe » et du « Génocide Arménien », qui, après avoir réchappé à un attentat à moitié paralysé en 1981 à Madrid, devint le principal militant de la reconnaissance du génocide en Espagne, une histoire de fou favorise un éveil de conscience par rapport au génocide arménien et tous les enjeux qui en découlent.
Une oeuvre aussi éclairante qu’un documentaire
Sans aucune scène de violence, le cinéaste dépeint de façon très précise un peuple défiguré et traumatisé par un massacre, ou plutôt par un génocide, dont l’essor de la médiatisation cherche par tous les moyens à faire pression sur l’état turc afin de faire valoir ses droits.
On découvre les différentes visions possibles à la fois à travers les révoltés arméniens, écrasés par l’indifférence diplomatique, mais aussi à travers le regard d’une victime collatérale, complètement désinformée sur le conflit.
De profondes réflexions résultant de ce récit
Avec Une Histoire de Fou, Guédiguian tenait avant tout à faire réfléchir sur tout un tas de thématiques, allant des questionnements politiques au devoir de reconnaissance, à la vengeance et à ses conséquences, au déracinement, en passant par la transmission du savoir, le pardon ou le travail de justice.
Plus précisément, la question du terrorisme, à savoir s’il est nécessaire, s’il existe de « gentils terroristes », et si les victimes de ces attentats peuvent être légitimisées, est au coeur de ce récit.
Accepter, comprendre, et enfin, pardonner.
Au-delà de l’aspect historique, ce film est tout particulièrement poignant car on y saisit toute la dimension du pardon. Grégoire Leprince-Ringuet, dans le rôle de Gilles, se retrouve handicapé à vie à cause d’un attentat à l’intention d’un ambassadeur turc. Le jeune français, lui, ne connaît rien au génocide arménien. D’ailleurs, il n’y porte aucun intérêt. Il étudie en médecine. Enfin il étudiait. Désormais, son avenir est anéanti. Il rencontre la mère du jeune terroriste arménien, interprétée par Ariance Ascaride. Cette dernière l’héberge chez lui comme s’il était son propre fils. Malgré la tragédie qui devraient les opposer, ils parviennent à communiquer et à s’aimer. Cet effort de pardon, à priori insurmontable et qui mène Gilles vers une forme d’humanité noble et héroïque, est autant si ce n’est plus mis de l’avant que la lutte armée et paradoxale en revendication à plus de justice.
Taulardes, un enfer carcéral surmonté grâce à un amour inébranlable – Sortie en salles au Québec en 2016
La détention des femmes est une réalité méconnue, souvent tue et même caricaturée… On généralise, on catégorise, on fantasme. On condamne parfois plus sévèrement encore que les juges : tout est trop beau pour ces délinquantes qui ne méritent pas qu’on gaspille à leur profit l’argent des contribuables.
Être détenue à l’heure actuelle, qu’est-ce que c’est?
Dans son dernier long métrage intitulé Taularde, la réalisatrice Audrey Estrougo plonge le spectateur dans l’univers épineux d’une détenue, Mathilde, professeure de Lettres, en prison pour avoir aidé son mari à s’évader. À travers cette intellectuelle et passionnée, interprétée par la talentueuse Sophie Marceau, on découvre l’enfer carcéral et on est pris d’admiration pour une femme qui mène un combat sans relâche pour survivre. Ainsi, être détenue, c’est partager une cellule de 9m20; réussir à s’imposer au sein d’un environnement hostile; être privée des êtres chers et de toute connexion au monde extérieure, se retrouver livrée à soi-même, dénuée de toute identité et sans réelle perspective de réinsertion.
L’amour, moteur et source d’une lutte acharnée, lueur dans l’abîme de la prisonPour sauver l’homme qu’elle aime de l’enfer de la prison, Mathilde est prête à tout, et même à prendre sa place derrière les barreaux. C’est l’amour pour son mari qui lui fait prendre des décisions presque insensées, et qui lui donne la force de persévérer dans sa lutte pour le sauver.
Mais pas seulement l’amour de son mari. Entre détenues, des clans se forment en une micro-société, dirigées par des figures d’autorité tiraillées entre leur devoir et leur humanité. On retrouve une complicité poignante entre Mathilde et certaines des prisonnières, ce qui est d’autant plus touchant puisque l’ancienne professeur appartient à un milieu strictement différent de celui de la plupart des détenues.
(crédit photo : Cinémania – Vivien Gaumand)
]]>