Le 28 octobre dernier, le maire de Montréal, Denis Coderre, a annoncé que la Charte montréalaise des droits et responsabilités serait traduite en langue créole. La traduction a été réalisée par Michel-Ange Hyppolite, M. Ed., membre de l’académie créole haïtien et lauréat du Mois de l’histoire des Noirs de la Ville de Montréal en 2003.
La Charte est disponible en huit langues autres que le français et l’anglais, soit en arabe, en chinois, en espagnol, en grec, en hébreu, en italien, en portugais et désormais, également en créole.
Cet évènement est l’occasion, pour le blogueur originaire de La Réunion, Jay Thomas, de rappeler l’universalité et l’avenir du créole.
Par Jay Thomas, blogueur de Jay Thomas Notes
Installé depuis quelques semaines à Montréal, je découvre cette « île » teintée de multiples couleurs. Les accents dans les rues communient et chantent la douce mélodie de l’intégration et du respect de l’autre. J’aime cette ville! Je retrouve en elle l’essence de l’humanité : la solidarité.
Ce jour là, nous nous rendons à une table ronde autour de la Journée Internationale de la langue et de la culture Créole. Effectivement, nous fêtons cette année les trente-quatre ans de la journée internationale de la langue Créole. Ce fut l’occasion de partager ensemble entre créoles de l’océan indien, des caraïbes ou même de Guyane une langue pareil à un sang mêlé et l’un des protagonistes animant cette table ronde a d’ailleurs fait remarquer qu’un anglais et un français peuvent avoir du mal à se comprendre. Cependant un créole de la Martinique n’aura pas de mal à comprendre celui de l’île Maurice ou de la Réunion. Pourquoi ?
Tout simplement parce que la langue créole prend ces racines dans l’usage du Français, de l’anglais, de l’espagnol et du portugais et comme le précise Aimé Césaire :
« Comment peut-on comprendre la langue martiniquaise, la vraie langue martiniquaise, le créole si on ne tient pas compte du fait que c’est une langue qui a été formée avec des mots français ou avec des débris de mots français mais qui a été restituée par des gosiers selon les règles implacables de la phonétique Africaine ».
Une phonétique qui selon moi rend les mots encore plus mélodieux. Je dirais que le créole est une fête où les mots et les intonations virevoltent. Elle est joyeuse et nous sommes dix millions de créoles à la faire vivre.
Lors de cette table ronde beaucoup de questions sont soulevées. L’animateur de cette discussion évoquent les préoccupations communes à tant de créoles : Dans le passé, était-il bien vu de parler créole ? Le créole à l’école ? Le créole et la reconnaissance de la classe politique ? À quand les premières prises de conscience d’une différence entre créole et Français ?
Le représentant de la langue martiniquaise livre son témoignage authentique; étant enfant, sa mère qui elle même parlait créole ne voulait pas qu’il s’exprime dans sa langue maternelle. En Martinique, à l’île Maurice ou à la Réunion, la langue créole était vue comme la langue des gens de la rue, des paysans. La première impression étant toujours déterminante : on pourrait même penser que dans les années 1960, le créole était la langue de l’analphabète, de l’ignorant pour une élite politique ou pour une classe sociale supérieure. Je n’entrerais pas dans un schéma inspiré du marxisme (Humour) où la lutte des classes dominent nos sociétés mais je me demande si la pratique du créole était-elle aussi assimilable à cette lutte des classes ?
L’ancien ministre de l’éducation nationale d’Haïti Joseph C. Bernard, décédé en 2005 et initiateur d’une réforme sur l’éducation, avait écrit : « On assiste donc à une lutte contre [sic] les deux langues, lutte liée tout au long de l’histoire d’Haïti à une sorte de lutte de classe : le français, langue de la classe dominante qui fait tout pour dénigrer et maintenir dans un état d’infériorité la langue du plus grand nombre; le créole, langue unique des masses à qui on a fini par faire croire qu’ils [sic] sont inférieurs à ceux qui parlent français. Il s’est donc créé une idéologie diglossique tendant à consolider la superposition entre les deux langues en conflit. L’école a été le moyen le plus sûr pour asseoir cette idéologie. »
Pour moi cette idéologie est toujours présente et le témoignage du représentant créole de l’île Maurice est concret. Il se demande pourquoi les politiciens de l’île Maurice sensibilisent la foule en parlant en créole ? Or, lorsqu’ils sont présents à l’assemblée, ils s’expriment en Français ou en Anglais. D’ailleurs, la pratique de langue Créole Mauricienne n’est toujours pas inscrite dans la constitution Mauricienne. Et pourtant! À quelques centaines de kilomètres, un peuple soulève l’étendard d’un pays où la pratique du créole est une fierté et où on le célèbre comme il se doit : Les Seychelles. Dans le courant des années 1980, à la demande du président de la République du Seychelles, l’Unesco avait dépêché un consultant afin de déterminer les mesures à prendre pour introduire le créole comme langue de l’enseignement.
Le cas de l’île de la Réunion est encore différent puisque Français nous sommes, et fiers de l’être. Je me souviens d’une vidéo dans les archives de L’INA où l’on voit le Général de Gaulle scruter la foule et clamer haut et fort : « Mon dieu, que vous êtes Français! ».
Parfois j’en rie et je repense au film Case Départ, joué par Thomas N’Gjijol et Fabrice Éboué.
Papa De Gaulle, nou lé aussi créole ! Créole, dans nos gênes et dans notre culture et nous le resterons. Nous nous devons alors de pratiquer avec fierté les deux langues, de jongler avec les mots, de la pratiquer dans toutes les circonstances de la vie dans le respect bien entendu de celui qui malheureusement n’est pas en mesure de le comprendre. Ne laissons pas les politiciens évoquer nos peines en créole, comme pour paraître proche du peuple. Dans leurs cocons le plus intimes, je me demande s’ils rejettent la pratique du créole ? Amenons le créole à savoir utiliser avec puissance les mots de la langue créole mais aussi ceux de la langue Française.
Nous devons être heureux de parler cette langue qui demain pourrait être considérée comme une langue en disparition car comme le précise notre interlocutrice Réunionnaise à la table ronde, on voit disparaître quelques mots créoles dans le vocabulaire des nouvelles générations.
Le créole doit devenir la langue de notre élite, qu’elle soit sportive, politique, intellectuelle, universitaire etc…
Lorsque je vois Teddy Riner ou Daniel Narcisse parlaient en créole, je me dis qu’un mouvement est en marche. Un mouvement lancé par des sportifs mais aussi par des artistes comme Danyel Waro, Davy Sicard ou Christine Salem… Ils portent la langue créole à l’extérieur. D’ailleurs rappelons nous qu’il était interdit de pratiquer notre Maloya, notre musique traditionnelle qu’on peut assimiler à un blues autrefois pratiqué par les esclaves. Cette interdiction découlant du décret du 15 octobre 1960, est le fruit de la politique de Michel Debré et cette politique était supposée réprimer les mouvements anti-colonialiste et indépendantistes.
Tant de personnes se sont battues pour que la langue Créole soient parties intégrantes de notre identité et qu’elle soit pratiquée. Je rêve alors d’un jour où les générations futures écriront une thèse en créole, la présenteront avec nos expressions et notre phrasé ou tiendront une réunion d’affaires en utilisant les mots du créole ou présenteront un journal de 20H00 en créole.
Suis-je un fantaisiste ? Est-ce que mes propos flirtent avec l’indépendantisme ? Je ne suis pas un aliéné; je suis conscient de notre kréolité. Au Québec, en toute harmonie et à l’autre bout du monde, des hommes est des femmes ont partagé leur histoire, leur vécu.
Ils rayonnent, nous rayonnons, allons Réyoné !
Merci a zot po ce partaz des peuples ! Li lé com un bouché manzé po le coeur, li le comme un messaz po not fé la paix ek le passé.
(crédit photo: Jay Thomas)