Le gouvernement a commandé un rapport pour étudier la perspective d’un doublement des élèves scolarisés dans les réseaux d’éducation française, promesse faite par Emmanuel Macron à l’occasion de la journée internationale de la francophonie. L’Outarde Libérée a rencontré la députée Samantha Cazebonne, mandatée par le Premier ministre pour effectuer ce travail d’envergure.
Par Jacques Simon
« Rayonnement » et « influence » mais aussi « moyens ». Ce sont les termes choisis par la députée Samantha Cazebonne pour décrire la relation entre l’AEFE et la France lors d’une rencontre avec l’Outarde Libérée la semaine dernière. L’agence est au centre du rapport qu’elle devra rendre le 15 décembre prochain, puisqu’il s’intéresse à la perspective d’un doublement des élèves scolarisés dans le réseau d’éducation française.
C’est un projet ambitieux dont certains doutent de la faisabilité. Dans sa lettre datée de septembre 2018 le sénateur Les Républicains (LR) Christophe-André Frassa rappelle en effet que les « rêves ne deviennent que très rarement réalité ». Malgré cela, Samantha Cazebonne, qui a été proviseure de deux lycées de l’étranger, affiche clairement sa volonté « d’accompagner [un] mouvement de réforme » et de « faire prendre conscience » à ceux qui prendront les décisions que « on ne peut pas, du jour au lendemain, changer un modèle sans l’accompagner ».
Vers un réseau d’établissements partenaires privés
La mission définie par le gouvernement cet été proposait deux pistes de réflexion : la députée devra s’intéresser aux « mesures susceptibles de favoriser l’accroissement du nombre d’établissements partenaires », ainsi qu’à la « possibilité de nouvelles stratégies partenariales avec le secteur éducatif privé ».
Pour rappel, il existe trois types d’établissements français à l’étranger: Les établissements en gestion directe, d’abord, qui sont sous tutelle du ministère des affaires étrangères et sont financés, dans l’ensemble, par l’État, les établissements conventionnés, ensuite, qui bénéficient aussi d’une aide de l’État notamment par le salaire versé aux professeurs détachés (les collèges et lycées de Montréal, Ottawa, Québec et Toronto s’inscrivent dans cette configuration), les établissements partenaires, enfin, qui sont autofinancés et qui ont un accord avec l’AEFE qui encadre le curriculum et qui les autorise à se revendiquer du réseau de l’enseignement français à l’étranger. C’est donc sur ce dernier profil que souhaite se concentrer l’équipe gouvernementale pour doubler le nombre d’étudiants scolarisés dans le réseau.
« L’idée aujourd’hui n’est pas d’alourdir le budget de l’État, explique Mme Cazebonne, il faut que ce projet ambitieux du président […] soit autofinancé, donc sans argent public ». Pour ce faire, il existe cependant plusieurs pistes souligne la députée. « Je ne suis pas certaine que [cette augmentation] ne se fera qu’à travers les [établissements] partenaires, dit-elle, on peut faire partie [du] réseau par plusieurs biais, sans forcément être complètement scolarisé dans un établissement ». L’allusion est claire : pour Mme Cazebonne, le doublement des élèves ne signifie pas uniquement le doublement des enfants dans des écoles françaises. Il se fera aussi à travers des dispositifs comme le programme FLAM qui permettent aux étudiants de bénéficier d’un cursus extrascolaire.
Cette concentration vers le privé et les établissements partenaires souligne la logique de la mission : obtenir deux fois plus de résultats sans faire croître le budget en conséquence. « Il va falloir faire mieux avec ce qu’on a », explique sobrement la députée.
Une AEFE à responsabiliser
Ce rapport va être effectué dans un contexte où l’AEFE est de plus en plus fragilisés financièrement. Avec la coupure budgétaire annoncée l’année dernière (33 millions d’euros, soit environ 10% du budget) qui avait mené le corps enseignant à faire une grève d’une ampleur historique notamment, beaucoup de syndicats et de professeurs manifestent leur inquiétude concernant le futur de l’agence.
Il n’y a cependant pas que le gouvernement Macron qui ait porté atteinte à la santé financière de l’AEFE. En 2009 en effet, alors que Nicolas Sarkozy était au pouvoir, le gouvernement a décidé que la caisse des fonctionnaires ferait payer aux organismes (AEFE comprise, donc) les pensions civiles de ses salariés. Pour compenser cette dépense additionnelle, 120 millions d’euros ont été versées annuellement depuis à l’AEFE. Toutefois, l’agence ayant continué à augmenter son corps d’enseignant, une dette s’est mécaniquement creusée.
« Le fond de roulement de l’AEFE permettait largement de supporter ces 33 millions de coupures budgétaires, insiste la députée Cazebonne, c’est l’association des 33 millions et du déficit structurel de la pension civile qui ont eu les conséquences que nous connaissons ». Aussi, la situation financière difficile de l’AEFE est, au moins en partie, due à une mauvaise gestion pour la députée. « On peut se poser la question : est-ce à l’État français de combler des déficits, dès lors où l’on n’a pas pris, en amont, un certain nombre de mesures pour les éviter ? C’est la question que je pose ».
« Chacun prendra ses responsabilités », aucun manque de cohérence
L’équipe gouvernementale avait étonné en faisant un changement majeur sur le statut des enseignants détachés mi-septembre et en annonçant une réforme de l’AEFE cet automne. Certains s’étaient donc questionnés sur l’utilité du rapport Cazebonne si les décisions allaient être prises avant sa remise. « Je ne vous apprends pas que le dernier jour d’automne est le 21 décembre » a-t-elle tenté. C’est un fait, mais il est tout de même permis de douter que les six jours qui sépareront la fin de l’automne et la remise du rapport suffiront à prendre pleinement connaissance de son contenu—et ce, si Emmanuel Macron décide d’attendre le 21 décembre pour annoncer sa réforme, chose que rien n’oblige.
« On peut engager des réformes à court terme et avoir une vision plus longue; moi ma vision est à long terme » s’est défendue la députée. Il faut donc comprendre que le gouvernement travaille à deux vitesses parallèles : une sur les réformes immédiates, et une autre sur la vision dans la durée. « Je suis de la branche législative, je ne suis pas de l’exécutif—j’ose croire que les deux se coordonneront ». Nous aussi.