Depuis la rentrée début septembre, Roland Lescure est passé à la vitesse supérieure : en plus de son statut de président de la Commission des Affaires Économiques, le député est rapporteur de la loi Pacte, et est arrivé deuxième dans la course à la présidence du groupe majoritaire LREM à l’Assemblée après une campagne éclair. L’Outarde Libérée l’a rencontré dans son bureau parisien.
Par Jacques Simon
Pas trop déçu ? « Non ! » répond Roland Lescure avec un sourire. Visiblement, sa tentative ratée de se faire élire à la prestigieuse position de président du groupe majoritaire de l’Assemblée Nationale n’a pas déstabilisé le député plus que ça. « Je voulais que la campagne se passe bien, elle s’est bien passée », assure-t-il, avant de glisser que l’élection a permis à beaucoup de monde d’avoir « un peu plus d’informations » sur lui. Un manque de notoriété à combler ? Il est vrai que la presse nationale a souvent fait remarquer que le député Lescure était un candidat relativement peu connu.
Le principal concerné ne dément d’ailleurs pas. Il aimerait en effet passer d’un « rôle de chef d’orchestre », à savoir le poste de président de la Commission des Affaires Économiques, à un « rôle un peu plus politique », un rôle plus actif. « J’ai fait [de la politique] pour avoir de l’impact, explique-t-il, je veux pouvoir me dire dans cinq ans que j’ai contribué à transformer la France ». Première étape, donc, rapporteur de la loi Pacte, dont il a présenté la teneur mardi dernier devant l’Assemblée nationale. À l’évidence, cependant, Roland Lescure voit encore plus grand.
A-t-il le ministère de l’Économie en ligne de mire ? Difficile de lui faire cracher le morceau. « J’ai passé toute ma carrière à faire mon job d’aujourd’hui, sans penser à mon job de demain, je ne vais pas commencer à faire autrement maintenant ! », rassure-t-il avec un franglais qui trahit ses années canadiennes. Pourtant, on a du mal à imaginer que l’ancien vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) n’ait pas pensé une seule fois à Bercy, ne serait-ce qu’en se rasant le matin… On tente une dernière manoeuvre pour le faire parler… « pour la suite, on verra », pose-t-il. La discussion est close. Soit.
La loi Pacte, le focus du moment
Pas de ministère pour l’instant donc, mais le rôle important de rapporteur de la loi Pacte, une fonction « complémentaire » à celle de président de la commission des Affaires Économiques affirme Roland Lescure. Le texte est large et a vocation à évoluer au cours du débat législatif, mais le député tente de nous en expliquer les grandes lignes. « C’est une loi moderne, assez XXIe siècle, très ‘En marche’, commence-t-il, ce n’est pas une loi de droite pour les patrons ou de gauche pour les salariés […]; elle vise à redéfinir l’entreprise pour le XXIe siècle ».
Le parlementaire décline les quatre types d’acteurs qui seront affectés par la loi. Les entreprises, d’abord, qui seront plus « libres, prospères, et responsables ». Les salariés, ensuite, qui seront « plus associés à la gouvernance de l’entreprise via les conseils d’administration » et « plus associés au profit via la participation [financière] ». Les actionnaires, après, qui auront vocation à investir à long terme. L’État, enfin, dont le gouvernement veut « repense[r] le rôle » : s’il est aujourd’hui « essentiellement actionnaire », il va se désengager, tout en renforçant son « pouvoir d’innovation, de régulation et de protection ». Avec l’argent encaissé par les privatisations, l’État pourra financer des innovations, tout en conservant des régulations pour protéger la France des hostilités du marché selon Roland Lescure.
Vaste projet. Certains parlent d’ailleurs d’une loi fourre-tout. « Absolument pas ! », s’indigne M. Lescure dans une vidéo partagée sur Facebook, « on confond un texte fourre-tout avec un texte complet, cohérent et équilibré ». Il n’en reste pas moins vrai qu’à l’écouter, on sent que le projet est faramineux, comme si on voulait transformer de fond en comble.
Le député essaye-t-il d’importer en France des coutumes canadiennes ? « En partie, avoue-t-il, les enjeux sociétaux et environnementaux sont plus présents au Canada et les investisseurs publics de long-terme sont plus responsables [qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne] ». Et puis, il y a le rapport à l’entreprise, beaucoup plus libéral au Canada, qui l’intéresse : « Créer une entreprise au Québec ça se fait en une journée, ça coûte pas grand-chose et ça se fait en deux clics », explique-t-il. À l’image du Président donc, le député d’Amérique du Nord aimerait bien que la France soit un peu plus décomplexée face à l’entreprise, que l’entrepreneuriat soit fluidifié et que les investisseurs passent dans une logique de « capitalisme de long terme ».
Des projets qui le rapprochent de la circonscription
« On est un petit groupe de députés des Français de l’étranger qui travaillons ensemble sur presque tous les sujets […]; chacun apporte son écho à un travail qui se veut collectif mais où il y a toujours une tête de pont ». Autrement dit, même s’il ne fait pas partie de ceux qui ont été mandatés par le chef du Gouvernement pour faire des rapports sur les sujets des Français de l’étranger, il s’intéresse à sa circonscription et participe aux efforts de ses collègues. C’est ce qu’il veut nous faire comprendre en tout cas.
Deux rapports majeurs ont en effet été commandés par le Gouvernement, celui de Anne Genetet sur la fiscalité et celui de Samantha Cazebonne sur l’AEFE. Cette dernière a d’ailleurs élargi son groupe de travail à tous les députés de l’étranger issus de la majorité. « On a déjà fait des réunions-réflexions sur différent sujets, et on va avoir un point d’étape quand elle aura fini ses consultations » explique Roland Lescure sans rentrer dans les détails.
Malgré ses efforts, on le sent moins à l’aise que sur les questions de loi Pacte. Il s’y intéresse, néanmoins, et veille à rester au fait des dernières évolutions. « Elle a vraiment bien fait les choses » explique-t-il au sujet du rapport Genetet, « ça a été un travail colossal, franchement chapeau ». Sur les conclusions et les nombreuses propositions (il y en a 215), rien ne le « gên[e] » même s’il souligne la présence de sujets « complexes », dont la fiscalité.
La suppression de la CSG-CRDS, que préconisait Anne Genetet parmi ses six recommandations « prioritaires » et qui revient comme leitmotiv à chaque fois que la fiscalité des Français de l’étranger est abordée, fait partie de ces sujets complexes pour le député. « Pour les citoyens français qui vivent dans l’Union européenne, c’est un no brainer » pose-t-il. Et les citoyens de sa circonscription ? « Que les Français de l’étranger contribuent au redressement de la France, ça ne me choque pas… mais ont-ils des choses en face ? je ne crois pas » explique M. Lescure. Aussi, « si on garde la CSG, il faut que les Français de l’étranger en aient pour leur argent ».
Pas de retour en circonscription tout de suite
« Je ne suis pas un député tout à fait comme les autres » lâche-t-il au sujet la circonscription qu’il représente. C’est sûr qu’avec l’Atlantique à traverser, le retour à la base est compliqué. En plus, il est évident que la succession de responsabilités qu’il endosse l’éloigne mécaniquement de ses électeurs. « C’est un vrai défi, je passe mon temps à m’interroger sur l’équilibre entre la présence sur le terrain […] et l’impact que j’ai ici » regrette le député Lescure. Il s’interroge peut-être, mais pour l’immédiat le choix en fait : « Je suis dans un tunnel pendant tout le mois de septembre et début octobre sur la loi Pacte », explique-t-il.
Pourtant, il espère pouvoir rentrer en Amérique du Nord avant la fin de l’automne, surtout dans les villes où il n’est pas encore allé dont Chicago, Boston et Los Angeles. En attendant, il prépare un colloque trans-partisan sur le multilinguisme à l’Assemblée qui aura lieu le 6 octobre prochain. « C’est aussi une manière de s’occuper de la circonscription sans y être », fait-il valoir. Reste à savoir si une réunion à Paris sera appréciée autant qu’une interaction directe avec les citoyens. Pour faciliter cette communication, il envisage d’ailleurs de se mettre aux permanences virtuelles, à l’instar d’Anne Genetet. « C’est une bonne idée à creuser », conclut-il sans promesses. À suivre…
(crédit photo: l’Outarde Libérée)