Dans le cadre de la 84ème édition du Congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas), accueillie par l’UQAM la semaine dernière, la question des identités et rapports de genre dans les télévisions de la francophonie a fait l’objet d’un débat. Camille Légeron, de l’Université de Montréal, et Sarah Sepulchre, de l’Université catholique de Louvain, ont abordé la « transidentité » sur les écrans français et québécois, le 11 mai dernier, lors du colloque « Identités et rapports de genre dans les télévisions de la francophonie ».
Par Jeanne Bouchel
Garçon ou fille ? Il semble important ici de clarifier certains termes. En général, notre sexe est déterminé à partir de la 13ème semaine de grossesse, on parle alors d’identité de genre assigné. Lorsque cette identité de genre assigné correspond avec notre identité vécue au quotidien, on parle alors de cisgenre. Mais il arrive que l’inverse se produise, et que l’individu ne se sente pas en phase avec le genre assigné à sa naissance. C’est alors qu’on parle de transgenre ou de transidentité. Plus généralement, le terme « trans » est utilisé pour désigner une personne vivant une transition d’un genre à un autre.
Encore sujets tabous, les questions de la transidentité et de la transsexualité, c’est-à-dire l’acte de changer biologiquement de sexe par le biais d’une intervention chirurgicale, sont pourtant de plus en plus soulevées médiatiquement. Camille Légeron s’est penchée sur plusieurs types de productions télévisuelles, et a tenu à souligner les problèmes encore rencontrés lors du traitement médiatique de ce sujet à la mode.
Attention à l’amalgame entre personnes transgenres et personnes travesties!
Au Québec, c’est le film Laurence Anyways, réalisé en 2012 par Xavier Dolan, qui fait couler beaucoup d’encre. La conférencière met l’emphase sur une scène bien précise, celle de l’école, lorsque le personnage de Laurence débarque dans les couloirs habillé en femme de la tête aux pieds. « Cette scène a été beaucoup critiquée par la communauté trans, qui la considère comme trop peu réaliste. Dolan insiste sur l’apparence et les vêtements féminins de Laurence, ce qui aura tendance à renforcer les amalgames entre les personnes transgenres et les personnes travesties, une idée reçue que l’on retrouve souvent dans l’imaginaire collectif », argumente la conférencière.
Un an plus tôt, de l’autre côté de l’Atlantique, la réalisatrice française Céline Sciamma provoque une nouvelle polémique avec son film Tomboy (« garçon manqué » en anglais), relatant l’histoire d’une petite fille de dix ans aux cheveux courts se faisant passer pour un garçon dans son nouveau quartier. Sorti en 2011, soit un an avant les manifestations mouvementées concernant le mariage homosexuel et la théorie des genres, Tomboy suscite le mécontentement de nombreux parents et la circulation de pétitions pour faire interdire sa diffusion à la télévision. En effet, le transgenre est encore trop souvent considéré comme une maladie, un dysfonctionnement ou un trouble de l’identité.
Les émissions télévisées font de la transidentité un phénomène à sensation
Du côté de nos petits écrans, les émissions télévisées font de la transidentité un phénomène à sensation. Sur les plateaux, que ce soit à Tout le monde en parle au Québec ou à l’émission Le monde en face diffusée sur France 5, les invités sont souvent interrogés en présence d’un expert médical, ou de photos imageant leur transition physique, afin de satisfaire la curiosité des spectateurs. Les opérations génitales y sont discutées ouvertement, bien souvent avec humour, et les souvenirs plus ou moins douloureux de leur coming out longuement relatés.
De récentes séries telles que Je suis trans sur la chaîne québécoise MOI&cie, ou encore Génération trans sur Télé-Québec, suivent également de près le parcours d’adultes, d’enfants et d’adolescents transgenres. Ces méthodes d’enquêtes médiatisées sont d’ailleurs fortement critiquées et dénoncées par l’association américaine GLAAD, qui a mis en place un guide de traitement médiatique du sujet. « Selon GLAAD, il n’est pas nécessaire de montrer des photos d’avant la transition, et il est préférable d’éviter les clichés liés aux vêtements ou au maquillage, qui laissent à penser aux spectateurs qu’être trans se résume essentiellement à des changements superficiels liés à l’apparence », affirme Camille Légeron.
Malgré ces idées préconçues encore parfois présentes dans les esprits, la transidentité connaît une visibilité de plus en plus à la hausse via l’intérêt que leur portent les médias français et québécois. Un progrès encourageant dont on n’a certainement pas fini d’entendre parler.
(crédit photo : Nathalie Simon-Clerc – Fierté Montréal 2014)
Un article intelligent et fin sur un sujet qui nécessite précisement cette approche qui s’attaque aux idées reçues . Pour ma part dans la séquence citée du film de Xavier Dolan j’avais surtout apprécié l’ouverture d’esprit (certes unanime) des étudiants face à la transformation de leur professeur . Je n’avais pas pensé à cet amalgame entre trans et travesti. Bravo et merci à l’auteur de l’article .