Samedi matin, Joël Le Bigot ouvrira son micro de Radio-Canada depuis Hochelaga-Maisonneuve, pour lancer la 13 e édition de la Guignolée du Docteur Julien. Ce Québécois d’origine normande, se définit comme un francophone du monde, partagé entre sa culture française et sa vie au Québec.
« Alors, bonjour Mesdames et Messieurs! » C’est souvent ainsi que le célèbre animateur radio-canadien de 68 ans, Joël Le Bigot, amorce son émission chaque samedi matin. Il houspille sa petite troupe, donnant la parole à l’un, la retirant sans ménagement à l’autre, la plupart du temps à Francine Grimaldi, provoquant les rires de part et d’autre du transistor.
Le 12 décembre, c’est depuis le quartier d’Hochelaga-Maisonneuve, où il a vécu enfant, qu’il animera Samedi et Rien d’autre, l’émission qu’il pilote depuis des années, sur les ondes d’Ici Radio-Canada Première. Il a pris l’habitude de soutenir l’action du docteur Julien et de sa fondation chaque année. « Il ne donne pas d’argent aux enfants pauvres, il s’occupe d’enfants délaissés et en difficulté », justifie l’animateur. S’il est à l’origine de la Guignolée des médias dans les années 90, il préfère aujourd’hui aider le docteur Julien. « Ça reste dans l’idée que nous avions au début », explique-t-il sans détours. De 800$ la première année, en 2000, la campagne de financement permet aujourd’hui de collecter un million de dollars.
Une famille franco-québécoise
Ce quartier de l’est de Montréal, il l’a arpenté enfant, alors que ses parents, accompagnés de leurs quatre fils avaient quitté la Normandie au lendemain de la seconde guerre mondiale, pour venir s’installer à Montréal. Chez les Le Bigot, on a l’habitude de traverser l’Atlantique, entre la France et le Canada. Le grand-père de Joël, Québécois des Cantons-de-l’Est, se porte volontaire pour la première guerre mondiale, et rejoint le nord de la France en 1916. Il se marie avec une Française du Pas-de-Calais en 1918, et rentre au Canada en 1920, où la mère de l’animateur, aujourd’hui âgée de 96 ans, voit le jour à Rosemont. Il retourne en France en 1922, pour s’occuper du cimetière canadien du Cabaret-Rouge près de Vimy. Il est arrêté par les Allemands en 1939 et passe cinq ans en Silésie, dans un camp de prisonniers. Après la Libération, tout le monde rentre au Canada, avec Joël, qui a vu le jour en 1946 en Normandie, dans le village de son père. Il a alors deux ans.
Français par sa famille et sa naissance, le célèbre animateur concède n’entretenir aucun lien avec la communauté française du Québec, même s’il tient à détenir un passeport français, et à transmettre cet héritage à sa fille et sa petite-fille Amélie, âgée de deux ans.
« Je me sens francophone plus que Québécois »
« Je me sens proche de la culture française de mes parents, la Normandie et le Nord, mais je ne reconnais pas mon pays, mon pays c’est Charlevoix, ce que mes yeux ont vu quand j’étais enfant », expose M. Le Bigot. À 30 ans, il est retourné en Normandie, dans le village de sa naissance, « pour savoir d’où je venais », commente-t-il. Si son pays est le Québec, il ne se sent pas complètement québécois. « Il faut une culture familiale, un passé québécois pour être un vrai Québécois, prétend l’animateur, je me sens francophone, et non pas Québécois ». Pour autant, il n’a jamais eu le désir de vivre en France, même s’il y retourne très souvent. Il a pourtant envisagé de partir pour aller faire son service militaire dans l’Hexagone.
« Nos parents ne nous parlaient jamais de la France, jamais de la guerre, on n’a jamais rien su, sujet interdit! », assène M. Le Bigot. Son oncle a cependant écrit l’histoire de sa famille, une famille brisée par la guerre selon lui. Il n’a pas encore lu cette histoire.
C’est sa mère, et son père, même s’il parlait peu (sic), qui lui transmettent cette culture française normande et cette langue française qu’il chérit. Il comprend vite qu’il y a deux langues dans sa vie : celle de la famille « qu’il fallait bien parler » et celle de tous les jours avec ses copains. « À la maison, j’étais en France, et à l’école j’étais un maudit Français », conte l’animateur.
La langue française pour regarder le monde
La langue française est au cœur de sa vie. « Je n’ai de souche nulle part, ma souche c’est ma langue », justifie-t-il. Il admet se sentir bien dans les pays où il peut parler français. « En ondes, je ne parle ni québécois, ni français », considère-t-il. Il est en effet engagé à Radio-Canada en 1967, parce qu’il parle une langue neutralisée, même s’il ajoute s’être vu refuser l’entrée de la société d’État car il n’était pas né au Québec. « On ne voulait pas de Français ici dans les années 60 », persifle M. Le Bigot. Les murs de son bureau débordent de photos de sa longue carrière. Il juge sévèrement la qualité du français dans les médias aujourd’hui : « La langue est devenue très secondaire, le vocabulaire s’est appauvri, il n’y a plus ce souci de bien se faire comprendre », regrette-t-il.
Dans son émission du samedi matin, un sujet sur trois, est un sujet européen. « J’ai le réflexe de la culture française », indique-t-il. Familier de la chaine TV5, il juge sévèrement l’information « devenue campagnarde » délivrée par les médias québécois, et qui ne lui « convient plus ». Il préfère se tenir au courant de l’information internationale « par plaisir du monde », et pour échanger chaque samedi à 8h10, avec le journaliste français Jean-François Kahn. Les manchettes du JT de France 2 font également partie de son quotidien.
C’est aussi cette curiosité du monde qui le rapproche des bateaux et de l’océan, en 1981, puis en 1984 où il embarque pour la transat Québec-Saint-Malo. Les voyages font partie de son histoire familiale, car c’est bien-sûr en bateau qu’il rejoint le Canada alors qu’il n’a que deux ans. « Partir n’est pas angoissant, c’est une chose ordinaire pour moi », estime celui qui aurait pu être navigateur, s’il n’avait fait la carrière médiatique que l’on connaît.
(crédit photo : Nathalie Simon-Clerc) À lire aussi :- RÉCIT – Jean-Pierre Lefebvre parti sur les traces de son grand-père, ancien soldat canadien en France