Le Québec n’est pas à l’heure de sa diversité dans le secteur des arts. C’est le constat sans appel de Jérôme Pruneau, directeur général de Diversité artistique Montréal (DAM). Avec son organisme qui accompagne les artistes immigrants ou de minorités visibles dans leur parcours du combattant, ce Français, doctorant en ethnologie, exhorte au développement d’une « culture de la diversité ».
Par Sarah Laou
L’épineuse question du manque de diversité dans le paysage artistique et audiovisuel québécois nourrit de plus en plus les discussions et les débats. En effet, le visage du Québec a changé depuis ces dernières décennies, sa population se diversifie et le rapport à l’identité nationale se complexifie.
Alors, le Québec serait-il en retard en matière de reconnaissance et de représentation de ses diverses communautés culturelles ?
Sur ce sujet, le directeur de DAM ne mâche pas ses mots : « L’image que l’on se donne de soi est blanche et francophone. Tant que cette image sera là, il y aura toute une frange de la population qui ne marchera pas, explique Jérôme Pruneau, qui est également auteur et chargé de cours à l’UQAM en sociologie de la production culturelle. La diversité n’est pas un problème à résoudre, poursuit-il. Bien au contraire, c’est une richesse, et il s’agit d’avoir une vision plus élargie de notre société. Nous sommes tous là pour participer au développement du Québec », livre-t-il dans l’entrevue accordée à notre magazine.
Il ajoute : « Avec notre organisme, nous cherchons à valoriser et à promouvoir une construction commune, une conscience collective basée sur l’inclusion. La diversité ce n’est donc pas l’autre, c’est “nous autres“ ».
DAM a soumis, en février 2015, une étude complète sur les enjeux de cette inclusion dans le domaine des arts à la Commission des relations avec les citoyens.
Cachez cette diversité que je ne saurais voir
Tandis que les nouveaux arrivants affluent chaque jour un peu plus nombreux vers le Québec, à Montréal, c’est presque une personne sur deux qui est issue de la diversité, rappelle Jérôme Pruneau.
Dans son essai intitulé, Il est temps de dire les choses, paru à l’automne dernier, il jette un pavé dans la mare et évoque les obstacles auxquels sont confrontés les artistes issus de la diversité québécoise. « Le talent n’a pas de couleur ou d’origine, écrit-il. Il devrait éclater à partir du moment où une chance de le montrer est offerte ».
« Un artiste a besoin d’un réseau et de l’appui de son milieu professionnel pour avancer, commente l’auteur. J’ai des artistes avec des CV inimaginables qui sont de véritables pontes à l’étranger. Ici, comme il n’y a pas de commission d’équivalence, ils rament et sont enregistrés comme stagiaire à l’Union des Artistes (UDA) », déplore Jérôme Pruneau qui souhaite qu’une mesure d’équité soit mise en place par l’UDA pour faire valoir l’expérience et les diplômes de ces artistes.
Les rôles « clichés » qui stigmatisent certains comédiens sont également légion, souligne-t-il. Dans son essai, le témoignage poignant d’un comédien d’origine haïtienne ayant refusé près d’une vingtaine de rôles de chauffeur de taxi, de domestique ou de dealer de drogue, l’illustre tristement.
« Il y a pourtant des médecins, des avocats et des professeurs d’origine haïtienne, s’étonne le directeur de DAM. Ce ne serait pas compliqué de prendre un acteur noir pour jouer ces rôles. Les stéréotypes sont tenaces et le protectionnisme du milieu reste bien présent. Il faut que les mentalités changent en profondeur », lance Jérôme Pruneau.
Ceci n’est pas sans rappeler la récente polémique autour de l’affaire Morissette et de l’abolition du Black face au Québec – pratique théâtrale abolie aux États-Unis où un acteur blanc se noircit le visage pour imiter un Noir.
Les Français : une « minorité audible » inaudible
Les Français ne sont pas épargnés. Pour ces derniers – et s’ils ne font pas également partie de la minorité visible – ils appartiennent à la minorité dite « audible ».
« On pense que cela sera plus facile pour un Français qui maîtrise la langue. Mais, ce n’est pas le même français, pas le bon accent, puis il y a aussi l’étiquette du « maudit Français ». Tout cela peut parfois être un frein pour certains comédiens, par exemple », précise Jérôme Pruneau.
Diversité artistique Montréal : un carrefour créatif en ébullition
Malgré tout, Jérôme Pruneau est optimiste : « les choses évoluent ». Selon lui, il ne s’agit pas de faire le procès du milieu artistique québécois, mais bien de nommer les choses, de sensibiliser et d’amorcer un changement.
Et, ces changements sont déjà palpables au 3680, rue Jeanne-Mance, siège de l’association. Depuis la nomination de ce dernier à la tête de l’association en 2013, l’équipe, est passée de deux à sept salariés. L’association a également vu son budget et ses membres doubler, ainsi que les actions sur le terrain se multiplier.
DAM publie désormais une revue mensuelle Tic Art Toc diffusée en librairie, propose l’accompagnement personnalisé d’artistes, organise Les auditions de la diversité en collaboration avec Radio Canada, mais offre aussi le mentorat artistique professionnel et bientôt des services-conseils aux entreprises désireuses d’intégrer la diversité.
Jérôme Pruneau : la preuve par l’exemple
« J’adore mon métier. C’est magique de voir les gens ressortir de mon bureau gonflé de motivation. Il est là mon salaire ! », s’exclame Jérôme Pruneau en montrant un mur recouvert de cartes de remerciements d’artistes.
Pour cet humaniste progressiste, accompagner a toujours été une vocation : « J’aime profondément les autres. J’ai la naïveté de l’utopie et des idéaux de paix, de révolution et de partage », confie-t-il.
Il est en outre le meilleur exemple de réussite et de détermination que ces artistes puissent avoir. Après des études supérieures à Montpellier, Jérôme Pruneau a été maître de conférence en Guadeloupe, avant de « tout plaquer » pour venir s’installer au Québec en 2012.
« Je suis un exemple incarné pour les artistes que j’accompagne. Comme eux, j’ai pris des risques, je suis reparti de zéro. J’ai même été plongeur dans un restaurant, avant d’entrer en tant que bénévole pour DAM, raconte-t-il. Comme je leur explique, c’est difficile de rentrer par la grande porte alors il faut viser les fenêtres ; moi, je suis rentré par la cave. C’est ce que j’aime profondément au Québec, poursuit-il le sourire aux lèvres. La porte s’ouvre toujours et on te donnera ta chance. J’y crois. »
Pour plus d’informations sur DAM : www.diversiteartistique.org/fr/
(crédit photo : Sarah Laou)
Superbe article merci!!!