Ici à Montréal, tout va bien
par M.A.N.
Les droits de l’homme devraient garantir à chacun et à chacune, l’accès inaliénable, en tout lieu et en tout temps, à un petit carnet et à un petit crayon, pour qu’ils y notent ce qui leur passe sous le nez. Si j’en avais eu un qui soit exclusivement consacré à mon travail, je l’aurais nommé :
« Sous les pavés, la plage. Sous les chocolatines, d’autres chocolatines. »
Cela traîne depuis longtemps dans les recoins de ma tête. Mon travail de commis dans le très riche et dans le très luxueux quartier de Westmount, regorge de mille et une histoires, pathétiques ou formidables, dont il serait injuste de ne pas te causer ici.
Arrivé au Québec depuis seulement quelques mois, et après avoir brièvement travaillé pour un brasseur du coin, je me trouvais soudainement contraint de me chercher un autre emploi. À mi-temps si possible, de manière à garder les heures et l’énergie nécessaires à des activités « ludicos-créatrices« , moins rémunératrices.
Ma coloc de l’époque, m’avait suggéré un poste de commis dans une fine pâtisserie française, dont elle connaissait le gérant. Le bonhomme, du pays lui aussi, cherchait du monde. J’avais un peu d’expérience, et « pâtisserie française » se mariait finalement bien avec : « immigré breton ». Coincidance amusante, la mère de mon patron avait elle-même été scénariste, « Enfin, un peu« , me confia t-il plus tard. Tout cela pour dire que rapidement, l’affaire fut entendue.
Pourtant je me demandais, si j’avais fait le bon choix. De petits boulots en petits boulots, je m’éloignais de ce qui me plaisait vraiment, et je craignais de m’égarer un peu plus dans le tréfond des forêts noires. Alors, tel le marin suivant l’étoile du berger, je guettais chaque lueur placée sur ma route qui m’eût semblé baliser un chemin. Et c’est ainsi qu’un faisceau de petites choses, stupides ou amusantes, parvint à attraper mon attention.
Je commence par les plus stupides. Métro Laurier, sur le mur extérieur qui donne sur la rue du même nom, se trouve un tag, crade et peinturé à l’arrache, brandissant fièrement et sans raison, le mot : Baguette. C’est la première chose que j’ai remarqué le soir de mon arrivée à Montréal. Car « Baguette » et plus précisément, « Baguette d’or« , c’est ce que mon fidèle accolyte Lalaïna dafunkytechnician et moi-même, ne cessions de crier comme d’absolus et d’authentiques couillons, afin de ponctuer la plupart de nos phrases, de leur ajouter un peu de sel.
La bien nommée baguette, allait revenir régulierement durant mes premiers mois d’installations. De mon coloc allemand, aux anciens conjoints de mes colocatrices, en passant par les gens qui allaient finalement racheter notre logement, nombre des personnes de mon entourage immédiat semblaient avoir une accointance particulière avec la batterie, ou tout du moins avec la baguette. Atterrir dans une pâtisserie, tu comprends bien que c’était raccord.
Et pour un écrivain aussi, curieusement. Ma supérieure, lectrice assidue doublée d’une cinéphile chevronnée, avait la particularité, en plus de porter le prénom de ma mère, de causer littéralement à la manière de ma soeur. Autre anecdote, autre détail : une fois, alors que je mangeais un panini-chèvre-pesto dans la salle prévue à cet effet, je vis affiché au mur, un script de plusieurs pages, rédigé par l’une des anciennes salariées. Un scénar’ de court-métrage, épinglé aux côtés du règlement intérieur de la boutique. Un souvenir affectif et narratif, égaré au milieu de la grille des salaires et de quelques petites cartes-postales « From Goudargue with love« .
J’en venais à me dire qu’objectivement, l’endroit réunissait les conditions subjectives maximales pour que j’y dépose mes bagages durant un petit moment. Ou peut-être me laissais-je simplement aveugler par les charmes multi-ethniques de mes chères collègues féminines, ou duper par la présence certaine sous les fondations même du magasin, d’une force pâtissière démoniaque, faisant danser les plumes et vibrer les baguettes, pour que viennent s’y échouer tous les apprentis scénaristes du coin.
C’est un après-midi de juillet que je fus définitivement convaincu de la portée karmique indiscutable de toute la petite histoire. Ce jour-là, une cliente s’avança vers moi pour me demander (en anglais dans le texte), si nous vendions des aliments sans gluten. Comme je l’ignorais (c’est l’une de mes principales qualité dans la vie), je posais la question à ma collègue qui, avec assurance et fermeté, me répondait aimablement que « non« . Je transmis l’information à la madame (ma collègue aime bien dire : la madame), et la madame s’en alla casser les croûtes ailleurs.
Plus tard dans la journée, cette même collègue (qui aime employer l’expression « tête de linoche ») vint me voir, et me dit : « On vend un truc sans gluten, mais ça a vraiment l’air dégueulasse. Check, y en a dans le frigo ! » Je l’accompagnais alors. Baissant les yeux sur le frigo, je vis un truc marron, de forme à peu près ronde et d’apparence vaguement appétissante, emballé dans un sac de plastique transparent, et sur lequel était écrit :
Galettes de sarasin.
Les châtiments corporels étant interdits, ou strictement règlementés par la loi du consentement mutuel, je me limitais à asséner à ma collègue, pour toute claque sur le fessier, une brève leçon de gastronomie bretonne pour les non-initiés. Et je compris ce jour-là, que cette pâtisserie de Westmount que je quitte aujourd’hui avec regrets, me fournirait toute la matière première nécessaire pour rédiger quelques appétissantes histoires.
Ici, à Montréal tout va bien.
Ici à Rennes, tout va bien.
Tu sais depuis la sortie de mon livre, on nous a un peu sollicités pour des articles, des interviews, un salon du livre, etc. Un peu, va pas croire non plus que c’est la gloire, que ça y est, dans l’hexagone je ne peux plus marcher dans la rue sans me faire arracher le caleçon par des groupies déchainées. C’est pas encore ça.
Simplement, j’ai eu pas mal de petits moments sympas. C’est plutôt réjouissant de parler de son boulot à des types qui aiment bien ce que tu fais et qui vont en causer dans le poste radio
pour dire « allez y acheter ce livre, c’est super, etc, blabla ». Pour moi, c’est de la petite pommade bien agréable qui soigne comme il faut mon narcissisme.
En tout cas tes anecdotes m’ont tiré des rires époustouflant. Le coup de la galette c’est du presque génie. Je vais te le dire tout bas, mais pour moi, les gens qui ne reconnaissent pas le goût subtile de la galette de sarrasin, ce sont des sauvages. Oui, des sauvages…
D’ailleurs, on en causait l’autre jour avec une « madame », comme tu dis. J’étais au salon du livre de Carhaix, dans le centre Bretagne, tu sais cette région isolé en plein cœur de la petite Bretagne, avec ses montagnes comme des bols de riz brun, hautes comme des buttes, vertes ou marrons ou grises voire noires ou blanches quand la brume les recouvre. Et puis ces campagnes. Et ces habitants. Et ces ciels. Et ces nuits comme des fins de monde. Bref, tu vois.
J’étais donc au salon du livre de Carhaix. Pour la promotion de mon livre sur les bistrots de Bretagne (Bistrots, rades et comptoirs, récits d’un tour de Bretagne).
Avec mon pote, le photographe du livre, on arrive devant la grande salle, on a les yeux qui tombent comme des camemberts coulant… on a reposé la carcasse seulement quelques heures après s’être couchés à 7h du matin, terminant nos conversations comme des coqs enroués.
L’éditeur nous attend. Et aussi un type qui veut une dédicace. On s’installe au stand. Derrière plusieurs piles de notre livre.
Les badauds défilent. Certains nous achètent des livres. D’autres regardent. Je fais tourner le crayon dans ma main. J’ai une haleine à décaper n’importe quoi. La tête chaude. Alors je cause avec mon pote. Et avec l’éditeur. Feignant la totale maitrise de mes mots, gestes, et feignant avec une certaine habileté une attention formidable.
La femme zyeute notre livre et nous interroge du regard. Elle finit par nous parler d’un truc qu’à absolument rien à voir avec notre livre… je sais même plus comment ça vient… elle veut parler, c’est certain. Et voilà qu’on se met à causer de galettes. Entre français, déjà, on parle que de bouffe, alors entre français breton, on parle que de bouffe bretonne, de galettes, de Kig-a-farz, de crêpes, de poulet au cidre, de galette saucisse, etc… pourtant, c’est pas peu dire qu’on a pas la gastronomie la plus développée. Mais que veux-tu on est comme ça… c’est not’boustiffaille et on l’aime.
- Savez-vous que la galette, de mon temps, on la mangeait pas avec du lard, du fromage et tout ça. C’était que du beurre et puis voilà…
- Oui, c’était le plat du vendredi, le jour maigre, que je dis, dans certains endroits on mangeait le poisson, ici c’était la galette… c’est vrai.
- Oui, et moi je me rappelle, petite, on allait dans la seule crêperie du village, à côté du Faou (pas loin de Daoulas, dans le Finistère, dans le parc naturel d’Armorique) et tout le monde arrivait avec son beurre… parce que ça coutait trop cher… on donnait le beurre au crêpier et il nous faisait une galette avec notre beurre qu’on lui avait donné. C’était ça la galette. C’est tout.
- Ah ouais ? que je conclu, satisfait par cette histoire.
En revanche, elle est reparti sans acheter notre livre… alors moi je veux bien causer galette et tout… le truc c’est que ça m’a filé une dalle phénoménale, j’avais pas mangé grand-chose de la journée, j’avais une gueule de bois grandiose, je tournais le stylo dans ma main, et on se fatiguait à faire des dédicaces depuis la veille… là elle me parle de galette, me fiche la dalle, et repart sans mon bouquin… j’étais pas colère mais presque.
L’autre truc qui m’a fait poiler, c’était y a pas très longtemps. Je suis au boulot et je reçois un coup de fil. Un type qui me dit « Bonjour, je suis … …, de France Bleue Armorique [une radio bretonne], j’ai lu votre excellentissime livre, j’ai envie de vous interroger là-dessus, mais bon ça m’embêterai de faire ça en deux minutes, je vous invite à mon émission, etc. ».
Moi je dis oui, illico… quand je rentre du boulot le soir, je m’empresse de raconter tout à ma chère. Avec mon pote Narcisse on se sent au paradis. De la vraie plaine verte, avec ces nuages comme des cœurs, des mers turquoises, des ciels bleus et des filles à poil partout… du bonheur quoi.
Quand je débarque à la radio, le type enfile sa veste en deux deux et m’emmène dans un bar en face. Je tiens à préciser, quand même, que ce jour-là je me tape une crève horrible. Pas du tout envie de boire. Mais bon, je sais pas dire non aux gens qui me flattent.
Il me paye une bière. Je la bois presque d’un coup pour faire passer le mal de gorge.
On file en studio. On enregistre l’émission dans les conditions du direct. Un beau moment, je me suis bien marré.
Je me dis après ça… « cool, bonne émission, bonne promo, il m’a dit des trucs chouettes pour flatter mon orgueil, et là je vais pouvoir rentrer à la maison et m’affaler sur le canapé pour soigner mon rhume ». Et voilà que mon gars me sort : « Bon, on va aller fêter ça quand même, on va pas finir comme ça… »
Et zou, de retour à la taverne d’en face.
On a sifflé 4 ou 5 bières. On s’est trouvé des pareils… de Louis Ferdinand Céline, en passant par Buko, des connaissances, et des goûts pas farouches pour les potes et la bière. Alors on s’est bien apprécié. Il bougeait pas d’un pète avec la bière lui. Mais moi, avec le rhume, les roteuses ont bien entamé mon équilibre.
Je suis sorti du bar, presque chancelant. J’ai mis toute mon énergie pour tenir droit jusqu’à ce qu’il rentre dans le bâtiment de la radio. Et je me suis affalé sur mon siège dans la voiture. Je me suis mouché très fort. Et je me suis dit que c’était pas si difficile que ça de boire quand on est malade. Et quand le type est un bon gaillard.
C’est cool d’écrire des livres et d’en faire la promo (j’ai pas payé une seule bière), vivement la célébrité, pour s’en coller au bord de jacuzzi avec du whisky à 100 boules, avec tous les potes incrustés pour l’occasion.
Ici à Rennes, tout va bien.
Retrouvez les auteurs M.A.N. et Sylvain Bertrand, sur le site de l’Imprimerie Nocturne