Six comédiens sur scène, comme autant de regards croisés sur une période trouble de l’Histoire française. La pièce de Jean-Marie Papapietro, L’énigme Camus : une passion algérienne, relate avec finesse, discernement et souci d’exactitude, les liens douloureux que le célèbre écrivain Albert Camus entretenait avec son Algérie natale.
Depuis le 12 novembre dernier, la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier ne désemplit pas. Entre dramaturgie et documentaire, L’énigme Camus : une passion algérienne est un petit bijou d’orfèvrerie porté par des comédiens qui s’imposent avec charisme. Tout en dynamisme, les scènes, les genres et les débats se succèdent, laissant une place importante à l’analyse polyvoque de cette Algérie des années 60.
De La chute à la mise en abyme
Dans la salle de spectacle, l’auditoire est suspendu aux lèvres des artistes. Un texte dense, une réflexion riche de références historiques et de passages des œuvres de Camus, se mêlent à une mise en scène originale.
Le décor est sobre. Cinq comédiens en situation de répétition jouent leur propre rôle et se questionnent sur les positions ambiguës d’un Albert Camus assailli et ébranlé par les polémiques de l‘époque. Dans un des coins de la scène, silencieuse sur sa chaise à bascule, une comédienne rappelle l’omniprésence de « la mère » dans l’œuvre de Camus. Une mère qui ne quittera jamais l’Algérie tant aimée ; un élément crucial dans la compréhension de ce grand intellectuel français déchiré entre nostalgie coloniale, idéaux libertaires et conviction humaniste.
À travers les joutes oratoires, et le dialogue qui s’installe progressivement entre les comédiens, les différentes facettes de la pensée camusienne, aux prises avec ses contradictions, nous sont restituées. Du reportage d’époque projeté sur les murs du théâtre, à la lecture d’extraits de textes comme L’homme révolté, jusqu’à l’interprétation de passages de ses œuvres théâtrales telles que Les Justes ou L’impromptu des philosophes, l’immersion du spectateur au cœur de l’énigme Camus est totale.
Le multiculturalisme : un idéal camusien
Si Albert Camus l’humaniste a toujours évoqué son espoir de bâtir une Algérie multiculturelle, où Européens, Arabes et Berbères cohabiteraient en bonne intelligence, il se retrouve pourtant pris entre deux feux. L’instrumentalisation de ses prises de position par le FLN et les violentes critiques des partisans de Jean-Paul Sartre dont il fait l’objet le meurtrissent profondément.
L’Histoire est en marche et Camus le visionnaire, en témoin de son temps, ne parvient pas à en réécrire les lignes. Il meurt deux ans avant la déclaration d’indépendance de l’Algérie, « exilé » en France.
Un texte impliqué
Pour le metteur en scène, Jean-Marie Papapietro, Français d’Algérie né à Alger en 1939, cette pièce est un pan de son histoire personnelle. Alors que son père fréquentait la même école qu’Albert Camus, Jean-Marie Papapietro, lui, a bien connu Catherine Camus, la fille du philosophe. En revenant sur les luttes intestines qui menèrent l’Algérie à l‘indépendance, ce professeur d’université, dramaturge et diplômé en littérature de la Sorbonne, souhaitait apporter un regard critique et éclairant sur les grands conflits contemporains.
A partir de la notion de conquêtes humaines, L’énigme Camus : une passion algérienne s’interroge sur le colonialisme, l’interculturalité, le renforcement identitaire, l’exil, mais aussi sur les droits, la morale et les libertés fondamentales. Une belle œuvre théâtrale empreinte d’Histoire universelle et de réalités actuelles. En salle jusqu’au 29 novembre au Théâtre Denise-Pelletier.
Entrevues avec les comédiens :
L’Énigme Camus : une passion algérienne
Texte et mise en scène de Jean-Marie Papapietro
Avec Roch Aubert, Mohsen El Gharbi, Gaétan Nadeau, Christophe Rapin et Philippe Régnoux.
Du 12 au 29 novembre, Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
Réservation en ligne : http://www.denise-pelletier.qc.ca/spectacles/30/