Après trois semaines de résidence dans le Grand Nord, les trois artistes de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA) étaient de retour à Montréal en ce vendredi 13 novembre 2015 pour partager leur incroyable expérience.
Par Sarah Laou
Ce fameux vendredi 13, nous rencontrions les trois artistes de l’ENSBA : Patrice Alexandre, professeur du département Matière / Espace modelage ainsi que ses deux élèves, Cécilia Breuil et Anaïs Ang, fraîchement débarqués de la toundra arctique. En compagnie du Consul général de France à Québec, Nicolas Chibaeff, et des partenaires de l’aventure, nous assistions à la conférence au Musée des beaux-arts de Montréal. Les plasticiens en résidence artistique à Aupaluk – communauté inuite du Nunavik dans le nord du Québec – ont témoigné de leur expérience forte, unique, parfois presque ineffable. Avant que les deux jeunes étudiantes reprennent leur avion pour Paris en fin journée, nous parlions de cultures, de rencontres, de partage, d’espaces infinis, d’art…, sans nous douter une seconde que quelques instants plus tard, l’heure serait à la consternation.
Malgré les événements tragiques survenus ce même vendredi 13 novembre, nous tenons à vous restituer le récit des aventures de Pierre, Anaïs et Cécilia. Car plus que jamais, leur histoire est un bel exemple du « vivre ensemble ».
Un projet audacieuxLes artistes en arts visuels de l’ENSBA ont été accueillis du 23 octobre au 13 novembre dans le cadre de l’édition 2015 des ateliers annuels d’art du Nunavik réunissant près de 40 artistes inuits. En mai prochain, ce sont deux de ces artistes du Nunavik qui se rendront à Paris pour un mois de résidence artistique. Cet échange, soutenu par Hélène David, ministre de la Culture et des Communications du Québec, est le fruit de la rencontre entre Patrice Alexandre et Laurent Lalanne, attaché culturel au consulat de France. « Tout est parti d’une simple discussion, raconte le professeur de l’ENSBA. J’évoquais mon voyage chez les Amérindiens en Guyane française et Laurent a eu l’idée d’organiser une résidence croisée avec les artistes inuits ».
L’attaché culturel français, lui même en résidence à Montréal, explique : « Je crois très fort en la résidence. Les artistes s’imprègnent et se projettent hors d’eux-mêmes. Ils sont amenés à questionner leur travail (…). Et puis, le Grand Nord, c’est un champ de promesses », évoque-t-il en souriant.
Pour Patrice Alexandre, sculpteur passionné d’Histoire qui a notamment réalisé de nombreuses commandes publiques telles que le monument à Saint-John Perse pour le Muséum d’histoire naturelle de Paris ou encore le monument aux victimes de la Gestapo à Reims, cette aventure n’aurait pas été possible sans la participation de l’Avataq, organisme culturel du Nunavik, et de Louis Gagnon, directeur d’Aumaaggiivik : le secrétariat des arts du Nunavik, qui accompagnait les artistes durant ce séjour. « Je suis celui qui les a bousculés, plaisante Louis Gagnon. On est sortis de nos zones de confort et ça n’a pas été facile. Patrice a été formidable et a fait preuve d’une grande résilience. Tous les trois ont été très ouverts (…) et j’ai assisté à des moments forts », conclut-il les yeux brillants.
Les objectifs de cet échange sont donc de favoriser la rencontre culturelle, mais aussi de transmettre les savoir-faire artistiques du peuple inuit et de consolider les liens entre la France et le Québec.
En terre inuite : l’aventure humaineLes deux jeunes artistes, Anaïs et Cecilia, ne réalisent pas encore l’expérience incroyable qu’elles viennent de vivre. Sous le coup de l’émotion, des images plein la tête, elles racontent : « Les artistes inuits étaient très rapides à se mettre au travail alors qu’il nous fallait au moins une vingtaine de minutes pour réfléchir à ce que nous allions faire, explique Anaïs Ang. Au départ, ils étaient méfiants, mais au fur et à mesure s’est installé un véritable échange, un rapport naturel qui ne passait pas forcément par la parole. On travaillait ensemble », se souvient cette finissante de l’ENSBA passionnée de sculpture, de cinéma et d’arts visuels.
« Il y a des choses qui ont étonnamment imprégné nos œuvres, reprend Cécilia Breuil encore très émue, comme l’omniprésence de la nature et des animaux. Je me suis mise tout naturellement à vouloir sculpter un phoque, confie-t-elle en riant. Nous étions dans un rapport direct aux choses, aux gens, aux éléments… Pour le moment, on a du mal à revenir à la réalité de la ville. Il n’y a pas assez de mots pour décrire notre expérience ».
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« Il m’a pris les mains et me les a réchauffées pendant plus de quinze minutes, précise Anaïs au sujet d’un artiste inuit. J’étais à la fois très surprise et touchée par cette attention (…). Cette scène était surnaturelle et ce n’est pas un hasard si j’ai ensuite réalisé cette œuvre », explique la jeune femme en montrant une sculpture composée d’une pierre brute taillée et de bois de cerfs polis, enchevêtrés les uns aux autres, à la manière de bras semblant réchauffer un cœur. Si ces artistes ont vécu des expériences relationnelles fortes, Laurent Lalanne, investigateur de cette entreprise artistique, se dit persuadé que l’environnement et l’espace auront un impact sur leurs futurs travaux : « Nous savions que des artistes en arts visuels auraient un vrai lien à la terre, à la pierre et au bois utilisés par les communautés Inuits. Il y avait un rapport d’évidence à la matière. »
Patrice Alexandre en témoigne : « Il est certain que mon travail est bouleversé. J’ai l’habitude d’être seul dans mon atelier; travailler avec les autres a été pour moi un enrichissement exceptionnel. J’ai envie d’y retourner. Je reviendrai, c’est sûr », ajoute le professeur de l’ENSBA originaire de Bretagne qui n’exclut pas la possibilité de venir un jour s’installer au Québec.
Plus d’information sur le site du Consulat de France – Québec (Crédit photos : Consulat Général de France à Québec)]]>