Le pergélisol est un sol gelé typique des régions polaires, qui emprisonne notamment carbone et méthane. Son dégel, provoqué par le réchauffement climatique, notamment dans la région Arctique, libère ces gaz à effet de serre. Les scientifiques Québécois Frédéric Bouchard et Français Antoine Séjourné ont commencé à étudier le pergélisol en Sibérie.
Par Romain Lambic
Le vendredi 5 octobre, la Délégation générale du Québec à Paris accueillait une conférence avec pour thème « Réchauffement climatique des territoires nordiques : conséquences sur la planète ».
Organisée la veille du début de la « Fête de la Science » organisée en France du 6 au 14 octobre, et dont le Québec sera l’un des acteurs, cette conférence présente les travaux de Frédéric Bouchard, scientifique et chercheur québécois, et d’Antoine Séjourné, enseignant chercheur à Géosciences Paris Sud (GeoPS) sur le pergélisol et l’impact de son dégel sur l’environnement.
Le pergélisol est un sol qui est gelé, pendant au moins deux ans, avec un taux de glace jusqu’à 100 %. Il est constitué d’une couche active, de 0,5 à 2 mètres qui gèle et se dégèle en fonction des saisons. Le pergélisol, que l’on retrouve essentiellement aux pôles et dans les très hautes montagnes (comme l’Himalaya) peut mettre des centaines ou des milliers d’années à se former et sa couche peut mesurer plus d’un kilomètre. Seulement, le réchauffement climatique provoque son dégel progressif. Ce dégel a plusieurs dangers. En effet, la glace dans le sol se liquéfie, ce qui déforme le sol et le rend instable. En milieu urbain, cela peut fragiliser les infrastructures (bâtiments, routes, pistes d’atterrissage). En milieu naturel, le dégel du pergélisol est à l’origine de la formation de certains lacs en Arctique ou en Sibérie. « Nous nous intéressons à la façon dont le dégel du pergélisol, suite au réchauffement du climat, va relarguer ou non du carbone qui participe à l’émission de gaz à effet de serre et amplifier encore un peu plus le réchauffement », détaille Frédéric Bouchard.
Le dégel du pergélisol libère carbone et méthane
Ce phénomène a donc un grand impact sur l’environnement, faune comprise. Pergélisol et gaz à effet de serre (PEGS) en Sibérie est le nom du projet d’étude porté par Frédéric Bouchard et Antoine Séjourné.
Il est né de la volonté du Président français Emmanuel Macron de faire venir en France des chercheurs du monde entier dans le cadre du programme « Make our planet grater again ». Après avoir vu sa candidature retenue, il a contacté GeoPS et Antoine Séjourné en septembre 2017 pour monter un projet collaboratif en un mois, le dossier a finalement été retenu. Ce projet, d’une durée de 4 ans (2018-2022), se déroulera en Yakoutie, une région reculée de Sibérie, zone dont le pergélisol est jusqu’à présent peu étudié (la plupart des études se font en Arctique).
« Nous avions déjà des thématiques de recherches sur le carbone en Sibérie, qui correspondait à ce que faisait déjà Frédéric au Canada. Son arrivée a permis de construire ce projet et d’améliorer notre connaissance de la Sibérie, avec des compétences que nous n’avions pas encore, notamment sur la diffusion des gaz suite au dégel du pergélisol », souligne Antoine Séjourné. « Notre objectif est de relier chaque site d’étude, au nord de la Sibérie, du Canada et de l’Alaska, avec des régions davantage dans les terres comme là où nous allons en Yakoutie ».
La première étape du projet PEGS, qui réunit non-seulement le Québécois Frédéric Bouchard et le Français Antoine Séjourné, mais également des chercheurs allemands, russes et iakoutes, a consisté en la récupération d’échantillons sur un ancien champ de quelques kilomètres carrés, devenu inexploitable en raison du dégel progressif du pergélisol et de la déformation de son sol, où des petits lacs commencent à se former. Cet ancien champ se trouve à proximité d’un lac, qui s’est formé il y a 10 000 ans suite au dégel du pergélisol. « Nous avons prélevé beaucoup d’échantillons de gaz, d’eau ou de sol. Nous allons effectuer des datations au carbone 14 sur les échantillons de carbone dans cette eau. Nous allons donc mener beaucoup de recherches en laboratoire cet automne, nous préparons déjà les campagnes de terrain en 2019. Nous devrions y retourner en juin, pour y capter le début de la saison de dégel, puis en septembre », détaille Frédéric Bouchard.
Lancement d’une BD de vulgarisation en français
Une démarche de vulgarisation a également été entamée auprès des écoliers vivant près de la zone étudiée. Par ailleurs, à l’issue de la conférence, Frédéric Bouchard et Antoine Séjourné ont annoncé le lancement de la version française de la bande dessinée « Frozen-Ground Cartoon », intitulée « Ça dégèle ! ». Cette bande dessinée, dont Frédéric Bouchard est le coordinateur, est le fruit d’une collaboration entre différents scientifiques spécialisés dans le pergélisol et deux illustratrices (dont la Québécoise Noémie Ross). L’objectif de cette BD est de faire comprendre aux enfants et à leurs parents le fonctionnement du pergélisol et les préoccupations autour de son dégel dû au réchauffement climatique.
Une version PDF est disponible sur le site Internet frozengroundcartoon.com (https://frozengroundcartooncom.files.wordpress.com/2018/09/fgc_francais.pdf).