« Gueule d’ange », le film de Vanessa Filho, mettant en vedette Marion Cotillard, a pris l’affiche, au Québec, le 21 septembre 2018.
Par Pascal Eloy, critique
O.F.N.I. (objet filmé non identifié) ! Etrange ! Inclassable ! Tels sont les commentaires possibles après avoir vu ce film inhabituel qui raconte l’histoire de Marlène (Marion Cotillard) une jeune femme qui vit seule avec Elli (Ayline Aksoy-Etaix), sa gueule d’ange, sa fille de huit ans. Une nuit, après une rencontre en boîte de nuit, la mère décide de partir, sans avertir sa fille, la laissant seule, perdue, livrée à elle-même.
« Gueule d’ange » est le premier long métrage de la réalisatrice Vanessa Filho, photographe, vidéaste, et musicienne qui débute sa carrière en réalisant des documentaires et des clips musicaux. Ce film a été présenté en sélection officielle au dernier Festival de Cannes dans la section « Un certain regard ».
Et c’est bien de ça qu’il s’agit puisque ce film retrace la déchéance d’une mère, perdue dans l’alcool et le sexe, immature et irresponsable, et d’une fille, dépendante affective de sa mère qui, à huit ans, va sombrer dans l’alcool par manque d’attention maternelle (mais pas d’amour) et en réaction face à l’insécurité de l’abandon qu’elle vit. Les premières images du film invitent d’ailleurs le spectateur à s’interroger sur les rôles respectifs des personnages. En effet, Marlène est-elle réellement la mère dans cette histoire ? Elli est-elle si innocente que son âge le laisserait présager ?
La suite du film permet sans doute de répondre à ces questions, mais rien n’est aussi simple qu’il n’y parait. Comme le précise la réalisatrice, « Toute la mise en scène a poursuivi le même objectif : approcher au plus près des émotions de mes personnages, traduites dans leur corps, sur leur corps. D’où des plans très proches et charnels, ou à l’inverse très larges, qui isolent les personnages dans des décors et des cadres constatant leur solitude, leur fragilité et, pour Marlène, un comportement et des choix illusoires ».
Si on peut regretter chez Marion Cotillard une tendance à sur-jouer son rôle, deux coups de cœurs particuliers doivent quand même être accordés. Le premier va à la jeune Ayline Aksoy-Etaix, d’une grande sensibilité et d’une indéniable maturité précoce pour son âge. Gageons qu’on la retrouvera prochainement dans d’autres films si elle souhaite continuer cette carrière. Le deuxième va à Alban Lenoir, ce jeune voisin dont Elli voudrait bien qu’il soit son père ; lui qui avait déjà été décelé dans « Le Semeur » de Marine Francen et qui campe, ici, un voisin, qu’on présume voyou repenti, au grand cœur et au courage certain.
Reste que ce film n’est pas exempt de défauts et d’invraisemblances : une bande son intéressante, bien que parfois assourdissante, noie certain dialogues ; de longues séquences avec l’enfant abandonnée dans son appartement où la réalité se mêle aux rêves d’Elli sans qu’on puisse aisément les différencier ; un directeur d’établissement scolaire qui ne déclenche pas d’alerte quand une enfant est absente plusieurs jours sans justificatif ; une enfant de huit ans qui ne monte pas sur scène lors du spectacle de fin d’année où elle joue le rôle principal et dont la disparition ne semble inquiéter personne…
Tout cela contribue aussi probablement à distiller, tout au long du film, une atmosphère particulière, accrue par une esthétique étonnante. En effet, le film est saisissant tant les couleurs sont saturées (peut-être ce détail est-il à mettre en lien avec la manière de Marion Cotillard de sur-jouer son rôle). De même, la luminosité et l’âpreté des décors naturels contribuent-ils à générer un flagrant contraste avec la solitude et la violence des deux personnages principaux.
Malgré ces réserves, « Gueule d’ange », avec les défauts inhérents à un premier film, révèle une réalisatrice, à coup sûr inspirée et deux acteurs dont il faut retenir les noms.