Jean-Charles de Castelbajac posant devant sa toile « Et l’amour dans tout ça »,
réalisé au Complexe Desjardins, dénonçant le matérialisme
crédit photo : Rozenn Nicolle
Président d’honneur du 13e Festival Mode et Design, Jean-Charles de Castelbajac a donné de sa personne. Casting sauvage pour défilé de fantômes, performance d’art urbain, exposition, et conférence au titre évocateur Cool heure and Happy culture, le créateur aura laissé son empreinte sur Montréal.
“Je suis arrivé dans le métier avec une mode de protection, de concept, inspirée par les vêtements militaires et de travail, car ce sont des vêtements qui ont un ADN”, explique Jean-Charles de Castelbajac, lors de sa conférence Cool heure and happy culture, destinée à la relève. Cet ADN, ce souci de transmission et de détournement, le designer français l’a en partie puisé au Canada. À son cou, en effet, il porte une écharpe aux couleurs des couvertures Hudson’s Bay : vert, rouge, jaune et bleu marine. Il raconte : “ À 8 ans, je suis parti chez ma marraine au Canada. J’avais une couverture Hudson’s Bay dont les rayures et les couleurs sont devenues le chemin de ma vie.” En 42 ans de carrière, il s’en inspira dans vingt-deux de ses collections.
Archéologue du textile
Dans son processus créatif, Jean-Charles de Castelbajac cherche l’histoire derrière les choses. “Je suis surpris que les créateurs canadiens n’utilisent pas plus leur histoire, dit-il, ils ont le sens de la coupe, mais tout est gris ou noir, et ils manquent de ces couleurs intenses qui viennent du métissage culturel ici.” Le couturier se qualifie lui-même d’archéologue du textile. Son premier vêtement, il le concevra avec sa couverture de pensionnaire et un cutter (X-Acto pour les Québécois). Ensuite, ses premières collections des années 1970 viendront détourner les matières du quotidien comme des serpillières, des éponges, afin de leur donner vie.
Jean-Charles de Castelbajac organise d’ailleurs sa conférence au Musée des beaux-arts autour d’un sac de voyage duquel il sortira des objets personnels, “des fantômes” qui ont nourri son imaginaire. Ses histoires, le créateur les raconte aussi sur les podiums. Son défilé-performance Fantômes aura suscité la curiosité des Montréalais, venus en nombre observer ses silhouettes élancées, coiffées de perruques psychédéliques et ultras colorées, déambuler dans des vêtements à mi-chemin entre culture pop et tribalisme. Antiperfectionniste, le designer avait organisé quelques jours auparavant, au Centre Eaton, un grand casting sauvage avec pour seule consigne : ne pas marcher comme un mannequin.
Mettre ses intuitions dans un concept
On pourrait prendre Jean-Charles de Castelbajac pour un sympathique et talentueux illuminé, mais le créateur reste très lucide sur le marché de la mode. Lui qui a connu les hauts et les bas du métier, et collaboré avec les plus grands artistes de l’art conceptuel (Andy Warhol, Keith Harring, Cindy Sherman etc.) craint de voir un jour l’artiste se dissoudre dans le marché. “Un défilé, si on n’est pas repris par la presse, c’est terminé. Aujourd’hui, un artiste doit être un entrepreneur, et mettre ses intuitions dans un concept”, lance-t-il à la relève québécoise. Il ajoute : “ On construit à partir de petit rien, c’est pour ça que je n’ai jamais aimé la haute couture (…) je n’ai jamais voulu ressembler à qui que ce soit, je n’ai jamais voulu suivre les tendances, je voulais exprimer mon moi.”
Ainsi, tout au long de sa carrière Jean-Charles de Castelbajac a habillé les plus grandes vedettes. Du Pape Jean-Paul II en passant par Lady Gaga, il a su séduire par son ouverture d’esprit et son anticonformisme. À Montréal, il a également laissé sa trace au Complexe des Ailes en dessinant un de ses célèbres Anges dans la ville. Avant de repartir, de Castelbajac le conférencier dévoile le secret de sa longévité : “Vous devez dessiner tous les jours. Je suis un gaucher contrarié qui s’est libéré les mains par le dessin.” Et pour ceux qui auraient manqué son passage par la métropole, la place Ville-Marie accueille jusqu’au 30 août l’exposition Main gauche retraçant son oeuvre décidément inclassable.