Dans son premier ouvrage intitulé, Au Non de la Patrie. Les relations franco-québécoises pendant la Grande Guerre (1914-1919), l’historien Carl Pépin écrit une page encore méconnue de notre histoire commune.
“Au niveau de l’historiographie des relations entre la France et le Québec, j’ai constaté qu’il y avait un trou pour la période de la Grande Guerre que je voulais combler avec ce livre”, explique Carl Pépin alors que Canadiens et Français commencent à organiser les commémoration de l’année 2014, pour le centenaire du conflit.
À peine a-t-on le livre en main que son titre interpelle : “Au non de la Patrie”. En jouant sur l’homonymie entre “non” et “nom”, l’auteur fait référence à une des pages sombres de l’histoire du Québec : la crise de la conscription ou le refus croissant des Québécois d’aller se battre en France, notamment à partir de 1917. Il s’intéresse surtout aux causes et à la portée réelle de cette interprétation de l’histoire militaire des deux nations. Au fil de six chapitres, on redécouvre ainsi la complexité des rapports entre la France et le Québec avant le conflit, mais surtout les multiples visages de la contribution québécoise à l’effort de guerre.
“Dans les commémorations, les autorités canadiennes mettront l’accent sur l’union nationale, par exemple avec la bataille de Vimy, mais il n’y a pas de mémoire plurielle au Canada”, avance Carl Pépin. “Au Québec, on retient évidemment comme élément marquant la crise de la conscription et la figure du soldat québécois obligé d’embarquer ; le problème c’est qu’on oublie de nombreux aspects de l’engagement du Québec : celui des femmes, des immigrants, des élites intellectuelles, et des industries.
Ce discours dominant empêche de faire une lecture complète de la guerre. On ignore une partie de l’histoire militaire”, analyse-t-il.
Remise en contexte
À la veille de la guerre, la France se cherche des alliés. Elle tente de mobiliser ce que l’historien nomme les “petites patries”, dont son ancienne colonie. Or, depuis la conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques en 1763, les liens semblent coupés, “les deux sociétés vivent en pleine solitude l’une par rapport à l’autre”, souligne Carl Pépin. Les Français jouent alors la carte de l’affinité culturelle. “Alors que l’Angleterre représente pour les Canadiens français de l’époque leur patrie légale, la France leur est présentée comme leur patrie morale”, dit l’ouvrage.
La redécouverte mutuelle, alimentée par l’excitation générale du début de la guerre, reste toutefois de courte durée. Exactement comme en Europe où l’année 1917 sera celle des mutineries dans l’armée, les Québécois réagissent violemment à la Loi sur le Service militaire instaurant la conscription. Figure de proue des anticonscriptionnistes, Henri Bourassa, le directeur du journal Le Devoir, prévient qu’une “erreur plus grave serait d’induire les Français d’Europe à venir nous donner des leçons de patriotisme à rebours et chercher à nous faire consentir pour la France des sacrifices qu’elle n’a jamais songé à s’imposer pour la défense du Canada français.»
En effet, la France s’essaye sous l’oeil bienveillant des autorités canadiennes à des opérations de séduction, notamment en envoyant des prêtres dans la Belle Province profondément cléricale. Mais, ce que le gouvernement français interprète dans les coulisses diplomatiques comme un lâchage et une amère déception, relève en réalité d’une problématique éminemment canadienne. L’historien décrypte : “En tant que nationaliste, Henri Bourassa, réfléchissait comme un Canadien francophone qui souhaitait que le Canada s’affirme face aux impérialismes, et plus particulièrement face à l’Empire britannique.”
Travail de mémoire et mémoire vivante
Cent ans plus tard, le travail de mémoire continue afin de lever les incompréhensions et de s’interroger sur ce que doivent retenir le Québec et la France de la Grande Guerre. Carl Pépin considère qu’au Québec, il faut continuer à relever les faits, et à mettre en avant les contributions des 15 000 militaires québécois. “En France, dit-il, vous avez Verdun, la Somme, cela met en relief l’héroïsme de l’armée française, ici il faut en parler davantage.” Dans leur lecture du “Non” québécois, les Français devraient également se rappeler que le Canada n’avait pas de service militaire obligatoire à l’époque de la guerre 1914-1918 (contrairement à la France, ndrl). La plupart des engagés québécois étaient donc de simples citoyens volontaires, “dont il a fallu faire des soldats”, ajoute l’historien.
Aujourd’hui, le Royal 22e Régiment représente la mémoire vivante de ce conflit. Crée en 1914, il fut la seule unité canadienne-française du Corps expéditionnaire canadien levée au Québec, et envoyée au front en 1914-1918. Carl Pépin connaît bien ce régiment qu’il a suivi en Afghanistan en 2008. “Nous sommes en train de préparer les célébrations du centenaire. Le 22e Régiment entretient soigneusement ce devoir de mémoire, car parmi les quelque 1500 soldats de ce régiment décédés depuis 1914, 1000 sont morts pendant la Grande Guerre”, rappelle-t-il.
Pour en savoir plus
En France et en Belgique, on trouve treize monuments commémorant les champs de bataille et les exploits des troupes canadiennes au cours de la Première Guerre mondiale.
En mars 2013, le gouvernement du Canada et le gouvernement français ont signé une déclaration de la coopération relative à la mémoire commune des conflits du 20e siècle.
Deux mois plus tard, le Canada a investi 5 millions de dollars pour la construction d’un centre d’accueil permanent au Mémorial national du Canada à Vimy, en France.
Le 7 novembre 2013, le président François Hollande prononçait le discours inaugural des commémorations de la Première Guerre mondiale.
Voir également :
Au Non de la Patrie. Les relations franco-québécoises pendant la Grande Guerre (1914-1919), Carl Pépin, Ph. D., historien Essai, Fondation littéraire Fleur de Lys, 2013, 436 pages.