Avec l’accord de libre-échange signé entre l’Europe et le Canada le mois dernier, le Québec et la France deviennent les têtes de pont d’échanges commerciaux transatlantiques facilités, et qui devraient s’intensifier dans les prochaines années. Pourtant, plusieurs questions « techniques » restent en suspend avant de parvenir à l’idylle commerciale.
La poignée de mains entre Stephen Harper et José Manuel Barroso le 18 octobre dernier à Bruxelles, est historique. Elle scelle l’accord économique et commercial global (AECG) entre l’Europe et son marché de 500 millions d’âmes, et le Canada, avec 35 millions de consommateurs potentiels. L’AECG permettra notamment de supprimer 99% des droits de douane entre les deux économies. En 2012, les échanges bilatéraux entre l’Europe et le Canada avaient atteint près de 62 milliards d’euros.
Au Canada, avec des retombées économiques évaluées à 12 milliards de dollars par an et 80 000 créations d’emploi, l’accord résonne comme la marque « d’un leadership politique » de Stephen Harper, selon l’ancien premier ministre libéral du Québec, Jean Charest.
La grogne québécoise
Pourtant du côté canadien, et plus encore du côté québécois, cet accord est accueilli avec circonspection. À l’euphorie de l’annonce du Premier ministre conservateur, ont déjà succédées les conditions du gouvernement québécois de Pauline Marois, qui appuiera l’accord s’il s’avère bénéfique pour le Québec.
Or la Fédération des producteurs de lait de la province, a déjà qualifié d' »inacceptable », l’augmentation des quotas d’importation de fromages européens. Les producteurs québécois fabriquent 50% des fromages canadiens, et 60% des fromages fins. Ils craignent une concurrence déloyale avec une filière laitière européenne subventionnée. Pauline Marois a déjà annoncé que la ratification du côté québécois dépendrait des mesures d’aides accordées aux producteurs de lait par Ottawa.
Elle a été rejointe dans sa demande, par Thomas Mulcair, chef de l’Opposition officielle à Ottawa, qui dénonce les quotas cédés par le gouvernement Harper en échange du bœuf. « Ça va saccager le système de gestion de l’offre pour les producteurs laitiers », affirme le chef du Nouveau Parti Démocratique (NPD). De 13 000 tonnes aujourd’hui, les importations de fromages européens vont passer à 31 000 tonnes en vertu de l’accord. Écartelé entre la satisfaction de la filière bovine de l’ouest canadien et le mécontentement des fromagers québécois, le NPD joue la prudence et tarde à se positionner.
« Une entente gagnant-gagnant »
L’ancien premier ministre libéral du Québec, Jean Charest, militant de la première heure pour la signature d’une telle entente, s’est déclaré très satisfait, et reste persuadé que le Québec sortira gagnant de cet accord. « Le Québec est la porte d’entrée de l’Europe en Amérique du nord », dit-il. C’est lui qui, en 2008, avait signé un Accord de Reconnaissance Mutuelle des diplômes (ARM) entre le Québec et la France.
Le milieu des affaires accueille également cet accord avec enthousiasme. Le Conseil du patronat du Québec parle d' »une entente gagnant-gagnant », et la Chambre du commerce du Canada se réjouit de l’ouverture du marché européen pour les entreprises canadiennes.
En pénétrant un marché européen jusque là frileux de s’ouvrir à des viandes aux hormones, les producteurs canadiens de bœuf et de porc voient se profiler devant eux, d’importante perspectives de bénéfices.
Le Québec, base arrière des entreprises françaises en Amérique
Les autorités françaises se réjouissent de cet accord. Le Québec est la terre d’accueil des entreprises françaises, des grands groupes mais aussi de plus en plus de PME. Les échanges commerciaux entre la France et le Québec, constituent 45% du commerce franco-canadien, pour près de 3.5 milliards de dollars canadiens. « Les PME françaises s’installent au Québec, s’élargissent au Canada en milieu anglophone pour ensuite rayonner sur les États-Unis », explique Frédéric Kaplan, chef des services économiques de l’ambassade de France à Ottawa. Le Québec et la France entretiennent des liens historiques, linguistiques et de proximité. Sur les 550 entreprises françaises installées au Canada, qui génèrent 80 000 emplois, 70% le sont au Québec. Les investissements français, en nette reprise depuis 2012, se font majoritairement à Montréal.
Vers une harmonisation des normes
Néanmoins, sur le terrain, les chefs d’entreprise français, restent prudents. « C’est un pas en avant, mais il faut voir à l’usage », commente André Clémence, PDG d’Euro-Excellence. Son entreprise, installée à Montréal depuis presque 30 ans, importe des produits européens salés et sucrés. Elle offre un gamme de 3000 références et importe plusieurs dizaine de tonnes par mois (Le Hénaff, Petit-Navire, Lindt, Haribo,…). S’il se réjouit de l’abolition des droits de douane, le chef d’entreprise attend surtout des avancés dans les actuelles entraves techniques qu’il rencontre (normes sanitaires, certification, étiquetage). La mise en œuvre de l’accord devrait par exemple supprimer des droits de douane de 12.5% sur les confitures de fraises ou de framboises destinés à protéger la filière canadienne. André Clémence attend surtout une harmonisation des normes techniques et sanitaires pour simplifier l’entrée de ses produits sur le sol canadien.
Frédéric Kaplan est optimiste dans ce domaine. Il soutient que le Canada veut évoluer vers des contrôles plus harmonisés avec l’Europe. « Il y a une volonté de faciliter et de fluidifier les échanges, au delà des barrières tarifaires », témoigne le chef des services économiques. Il confie même que sur certains gros contrats, les choses sont plus faciles depuis la signature de l’accord.
Un enjeu colossal pour la France
Même si des modalités techniques restent à négocier, l’accord devrait entrer dans sa phase de mise en œuvre provisoire en 2015. « Mais c’est maintenant que les entreprises doivent se préparer, car il y aura beaucoup d’opportunités! », plaide Frédéric Kaplan. Les autorités françaises tablent sur un gain de 20% des exportations, soit un milliard d’euros. Les instances diplomatiques françaises risquent fort de se transformer en VRP de luxe pour faciliter les échanges commerciaux transatlantique. « À partir de 2014, la France et le Québec ont prévu d’entreprendre des opérations d’information sur l’AECG vers les entreprises, coordonnées au sein du groupe franco-québécois de coopération économique », explique Nicolas Chibaeff, Consul général de France à Québec. Le réseau des chambres de commerce et Ubifrance seront des partenaires importants.
Le consul précise également que l’accord concerne la mobilité des personnes et la reconnaissance des qualifications professionnelles, dossier qu’il connait bien au Québec, puisque plus de 80 ARM ont été signés entre la province et la France. Nicolas Chibaeff indique par ailleurs que l’accord couvre les marchés publics et pourrait permettre aux entreprises françaises de soumissionner, dès lors que le marché public atteint une certaine taille.
Avant sa mise en oeuvre provisoire prévue en 2015, L’AECG devra maintenant être traduit en 27 langues, puis être soumis pour ratification aux 27 pays de l’Union Européenne, aux 10 provinces et 3 territoires canadiens. L’année 2014 devrait être bien remplie!
(crédit photo : Nathalie Simon-Clerc)