Jeudi dernier, la Chambre de Commerce et d’Industrie française au Canada (CCIFC) organisait un petit-déjeuner culturel au Sofitel, autour de deux personnalités incontournables du monde des arts à Montréal : Nathalie Bondil, directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) et John Zeppetelli, directeur général et conservateur en chef du Musée d’art contemporain (MAC). Sur le thème : «Internationalisation et rayonnement mondial des musées montréalais», les deux dirigeants ont expliqué leur stratégie pour développer leur musée.
Si John Zeppetelli a souligné les efforts du MAC pour faire connaître les artistes québécois à l’étranger, Nathalie Bondil a expliqué sa stratégie à l’international pour développer le MBAM, et en faire un lieu culturel attractif et rayonnant de la métropole québécoise.
Car sa réputation n’est plus à faire. A 48 ans, Nathalie Bondil fait partie des Françaises les plus influentes du Québec. Après avoir travaillé dans le cinéma en pré et post-production, elle intègre l’Ecole du Louvre à Paris et devient historienne de l’art. En 1993, elle réussit le concours des Conservateurs du patrimoine. La voilà « haut fonctionnaire ». Elle fera alors ses armes au Musée des monuments français dans la capitale, et se spécialisera dans le XIXe siècle. Etonnant parcours pour une femme qui, autrefois, voulut abandonner ses études supérieures. « J’étais un peu rebelle! Mon père était effondré, mais je les ai finalement reprises », confie-t-elle.
C’est un peu par hasard que l’historienne atterrit au Québec: « Mon prédécesseur m’a proposé de devenir conservateur du XIXe siècle au MBAM, puis conservateur en chef et j’ai accepté », se souvient-elle. Elle en est la première surprise. Son mari et elle ne pensaient rester que quelques temps. Seize ans plus tard, Nathalie Bondil est toujours là. « Seize hivers, vous rendez-vous compte ? », plaisante-t-elle, avant d’ajouter : « Ce qui est formidable avec l’hiver ici, c’est qu’il n’y a qu’une seule chose à faire : travailler. Je travaille beaucoup ». La directrice est en effet sur tous les fronts. C’est une working girl reconnue pour son travail, distinguée Chevalier de l’Ordre du Québec et dans l’Ordre des Arts et des Lettres français.
La création d’un modèle inédit
Sous sa mandature, les chiffres sont records. Avec près de 100 000 membres et un million de visiteurs par an, le MBAM s’affiche comme un incontournable de la vie culturelle montréalaise. Mais le rayonnement va bien au-delà des frontières : « Chaque année, nous exportons nos projets dans 5 à 6 villes à l’international », annonce Mme Bondil.
Ces projets, ce sont les expositions qu’elle élabore de toute pièce avec ses équipes, de la conception à l’exportation, en passant par la production. Cela n’a l’air de rien, mais dans le milieu de l’art canadien, c’est unique. « Nous faisons parfois circuler des projets conçus au musée à plus de trente collectionneurs-prêteurs dans le monde. C’est complexe, ça nécessite beaucoup de temps et de savoir-faire. Mais nous sommes passionnés et nous avons une véritable expertise », soutient-elle.
Et ce modèle marche. Après quatre années de coupes (le budget du musée a été divisé de moitié, passant de 1,8 millions à 900 000 dollars), la stratégie Bondil réussit le pari de l’excellence à moindres couts. « Plutôt que de faire des projets médiocres, nous avons mis en place ce modèle d’exportation de contenu artistique depuis mon arrivée pour nous donner les moyens de nos ambitions », explique-t-elle.
Résultat : l’organisme à but non lucratif assure son rayonnement à l’international en enregistrant un bilan financier dans le vert. Un succès que ne contredit pas l’exposition Jean Paul Gauthier, rachetée par le Grand Palais et qui sera à l’affiche à Paris ce printemps. Au total, depuis 2007 qu’elle est à la tête du MBAM, Nathalie Bondil aura exporté ses projets dans plus de 30 villes autour du monde.
L’art, ou le miroir de la société
Autre raison du succès du musée : la vocation sociale et éducative des expositions, une thématique chère à sa directrice. « Si Jean Paul Gauthier a accepté notre proposition de projet en 2009, lui qui se méfiait de voir un cimetière autour de son œuvre, c’est parce que nous proposions une certaine vision de la diversité et de la tolérance sur le physique », fait-elle remarquer.
Dépasser le champ de l’histoire de l’art pour proposer des projets qui questionnent les enjeux sociétaux actuels, tel est donc le crédo de la conservatrice. Ecologie, enfance au travail, handicap, question féminine… Outre l’intérêt esthétique, les expositions qu’elle monte ont toutes une visée pédagogique. « Au Québec, il y a moins d’histoire de l’art qu’en France et beaucoup de migrations. L’enjeu est de pouvoir fédérer et sensibiliser tout le monde aux œuvres. On le compense par un élan de créativité et une culture socialement engagée », reconnaît-elle.
Pour le haut fonctionnaire, cet engagement n’est possible qu’au Québec. Elle se montre d’ailleurs critique envers les Français, qu’elle pense trop cloisonnés et segmentés dans le domaine de l’art. « On a beaucoup plus de liberté dans l’appréhension des œuvres au Québec, et une vraie culture du projet qui n’existe pas en France. Elle reste aussi très franco-française alors qu’ici, on a déjà intégré la question mondiale », analyse-t-elle.
Le projet qui fait la grande fierté de Nathalie Bondil reste la bannière « Liberté, je dessine ton nom », qu’elle a créée moins d’une semaine après les attentats du 7 janvier à Paris. Les enfants continuent de s’y presser et de participer aux ateliers de dessins, mis en place très rapidement de son initiative…
(crédit photo : MBAM)
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