De passage en France en novembre prochain et en tournée dans l’Hexagone l’hiver dernier avec deux créations, la compagnie Les 7 doigts de la main présente actuellement Vice&Vertu, un spectacle grandiose à Montréal, et ce, jusqu’au 6 août. Traitant de la prohibition dans la métropole québécoise, la compagnie nous mène durant trois heures de temps au fin fond des maisons closes, des bars de Paris et de la corruption policière. Retour sur une soirée immersive, entre passé et présent, entre Histoire et œuvre de création.
Par Léa Villalba
C’est dans une salle en sous-sol de la SAT (Société des Arts Technologiques) que débute le spectacle. Invité à se vêtir d’habits rappelant les années 40-50, le public se confond avec les artistes, dans un véritable jeu de cache-cache. Dans cette petite salle calfeutrée, on découvre peu à peu l’esprit de la création où une cabine téléphonique d’époque et une petite scène de cabaret se font face.
Peu à peu, la salle s’active. On découvre les artistes par leurs « arrêts sur image » au milieu du public, qui les font ressembler à de vraies photos d’antan. Un homme se balade aussi au milieu de la foule avec un vieil appareil photo argentique pour prendre des clichés des passants.
Après ces quelques interactions, c’est par un discours sur la moralité que le spectacle commence. Un curé clame le danger de l’immoralité et fait entrer le public dans les années de prohibition dès les premières minutes. Par la suite, ce sont plusieurs lieux qui entrent en lumière, toujours au milieu de la salle et font vivre des scènes quotidiennes tout en présentant peu à peu une intrigue, des histoires et des personnages.
D’une scène de cabaret à une maison de jeux, en passant par un couple homosexuel pourchassé, une radio locale ou une maison close, ce sont plus de 30 circassiens, acteurs, artistes et musiciens qui rythment la petite salle de la SAT et plongent le spectateur dans une époque, finement mise en scène, où le quatrième mur est souvent brisé, soit par le côté intrusif des scénettes, soit par l’immersion même d’un des spectateur au sein d’un numéro.
Après la mise en place des personnages et de l’histoire globale, le public est invité à se séparer en trois groupes, selon un coupon donné à l’entrée. Une performance artistique donc très risquée où le temps est un enjeu primordial.
Pendant trois heures, les artistes doivent se produire devant trois groupes différents dans trois lieux distincts. Chaque changement de lieu doit se faire dans un temps imparti très précis, au risque de décaler tout enchaînement du spectacle. Une performance à la fois temporelle donc mais aussi physique pour des artistes qui doivent déambuler de part et d’autre de la SAT, en arrivant en temps voulu afin de livrer leurs performances circassiennes, théâtrales et musicales, trois fois d’affilée, de façon authentique et au maximum de leurs capacités.
L’histoire de la pièce nous transporte alors d’un bar illégal au dôme technologique spectaculaire de la SAT où sont projetés des lieux mythiques. La rue Stanley, le pont Jacques-Cartier illuminé, le sommet du Mont-Royal ou encore les étoiles, on suit les scènes et les numéros qui s’accordent parfaitement au cadre et au propos et on plonge dans ces originalités-là comme des enfants. Vice&Vertu nous amène aussi en extérieur, jusqu’à la Place de la Paix, où se négocient les droits des femmes, leur accès au vote, leur révolte et leur problèmes conjugaux et familiaux.
Des mises en situation précises et impressionnantes où l’histoire de Montréal est dépeinte, au rythme des pièces circassiennes de grande envolée.
Habiller des références historiques par du cirque contemporain
Dans cette immersion totale, les artistes ont reconstruit Montréal à l’époque de la prohibition, entre plaisir et moralité. Ils nous présentent alors les scandales de l’époque et les personnalités qui y étaient impliquées. Léa Roback et sa lutte pour le droit des femmes, le chef corrompu de la police, Albert Langlois, Harry Davis, propriétaire d’un célèbre bar de jeu et de gambling, Pax Plante, avocat et policier de l’époque, Lili St-Cyr, actrice considérée comme la reine des strip-teaseuses à l’époque, Armand Monroe, figure importante de la scène gay à Montréal et bien d’autres.
Les petites scènes s’enchaînent à merveille. Entre théâtre, danse, humour, cirque, musique, le tout crée du suspens et des émotions diverses. On passe d’une scène de musical-hall burlesque sexy à une négociation tendue entre la police et un criminel, on découvre la joie d’un bar illégal rempli d’alcool, la difficulté d’être un homosexuel à cette époque où encore les dessous d’une police corrompue ; le tout tiré de faits réels.
Pour alimenter l’univers méticuleusement créé par la compagnie, on assiste à des numéros de haute qualité, comme à l’habitude des 7 doigts de la main. Entre la douceur d’une chanteuse trapéziste et la stupeur devant une voltigeuse hors pair, le public en prend plein les yeux. Il a pu découvrir de nombreux numéros, tous aussi agréables à regarder et plein de talents : hula hoop, ombrelle chinoise, jonglage, main-à-main, pole-dance, diabolo, cerceau aérien, mat chinois, barre russe, équilibres en tout genre, portés acrobatiques… Les 7 doigts de la main ravissent leur public en choisissant des numéros uniques, bien ficelés au reste de la création et toujours aussi bien effectués, spectaculaires et plein de subtilités.
Pour alimenter l’ambiance et se rapprocher de la réalité de l’époque, un band de jazz accompagne constamment la création et joue des morceaux mythiques en passant par des reprises de Duke Ellington, Gene de Paul, Bubber Miley, Grace Jones et bien d’autres.
Chants, musiques, danses, théâtre, cirque, un vrai music-hall, un cabaret spectacle loufoque, impressionnant par sa mise en scène et sa justesse d’exécution qui finit par un party où la belle voix rauque de Betty Bonifassi éclaire le blues sensuel du band. Trois heures qui passent finalement vite où le rythme soutenu et l’originalité du concept surprend constamment son public et l’amène en profondeur dans une époque qui laisse ses traces et fondera l’actuel Montréal.
Un spectacle aux envies démesuré qui montre encore une fois la capacité de réinvention de la compagnie des 7 doigts de la main. En tant que spectateur, il est question de s’investir cœur et âme dans un Montréal des années de la prohibition, vivre des émotions fortes et ressortir la tête pleine d’images et de sensations grâce à un spectacle incroyable, dont la mise en scène méticuleusement articulée propose des artistes hors du commun qui nous font vivre une expérience unique en son genre.
En représentation à Montréal jusqu’au 6 août: Billets
(crédit photo de Une: Les 7 doigts de la main – Chantal Lévesque)
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