Par Philippe Zeller
Ambassadeur de France au Canada
Nous célébrons aujourd’hui le soixante-dixième anniversaire du Débarquement allié en France. Quel sens donner à ces commémorations ? Commémorer le Débarquement, c’est d’abord se souvenir que l’amitié franco-canadienne s’est forgée à l’épreuve du feu. C’est rendre hommage à la bravoure de cette jeunesse déversée sur les plages de Normandie.
Ces hommes qui ont traversé l’Atlantique venaient de Montréal, de Moncton, de Toronto, de Winnipeg, Vancouver, Victoria ou de Regina pour libérer notre pays. Ils n’avaient que vingt ans et toute une vie devant eux. Ils s’apprêtaient, pour beaucoup, à la donner pour notre liberté. Je pense avec émotion à ce que le soldat Gérard Bouchard a vécu ce jour-là : « On débarquait, on devait courir 1000 pieds puis se creuser une tranchée de l’épaisseur de notre corps. On a gagné le terrain pas par pas. C’était l’enfer ! ».
Le 6 juin 1944, ce sont 15,000 soldats canadiens de la 3ème division d’infanterie qui ont débarqué sur Juno Beach. Pour la France, leur venue marquait la fin d’une nuit. Une nuit qui avait duré 1500 jours. La longue nuit de l’Occupation nazie. Et c’est là, sur les plages de Normandie, que l’espoir allait renaître.
Je me souviens que c’est le sacrifice de soldats canadiens qui permit à mon pays de se libérer du joug nazi
Le soir du D-Day, les soldats canadiens avaient réussi à pénétrer profondément dans les terres après avoir affronté l’une des plus fortes résistances sur les plages. L’historien John Keegan a très justement rendu hommage à leur courage ce 6 juin 1944, un courage qui enorgueillit « la fierté de toute une nation ».
Je pense en particulier au régiment de Canadiens-Français de la Chaudière, qui a débarqué le 6 juin vers 8h45. A la surprise d’ailleurs de la population locale, qui ne s’attendait certes pas à rencontrer des troupes francophones parmi les forces alliées ! Durant le mois de juin, ce régiment se bat sans répit autour de la ville de Caen. Il participe à réduire la poche de Falaise, manœuvre décisive qui ouvre la voie, en définitive, à la libération de Paris à la fin du mois d’août.
Pour toutes ces raisons, je me souviens que c’est le sacrifice de soldats canadiens qui permit à mon pays de se libérer du joug nazi. Cette génération a sans doute écrit là ses plus belles pages. Ceux des Canadiens qui sont tombés lors du Débarquement reposent au cimetière militaire de Bény-sur-Mer. Sur leur tombe se distingue une croix grise avec l’inscription « Mort pour la France ». Notre dette à leur égard est éternelle.
Savoir regarder l’avenir sans rien oublier de notre passé
Aujourd’hui, 6 juin 2014, nous célébrons cette histoire commune à travers des commémorations inédites sur les plages du Débarquement. C’est un honneur d’accueillir à ce titre Monsieur le Premier Ministre Stephen Harper pour une cérémonie franco-canadienne en France.
Car commémorer le Débarquement, c’est aussi célébrer la fraternité des démocraties. C’est se rappeler du sang versé sous la bannière de la liberté. C’est défendre ces valeurs communes au nom desquelles nos aînés sont tombés : le respect des droits de l’homme, l’amour de la liberté, la protection de la dignité humaine.
Commémorer le Débarquement, c’est enfin s’adresser à la nouvelle génération. A travers ces célébrations, je souhaite que nous saisissions l’occasion de lui transmettre la flamme du souvenir. A ces jeunes qui n’ont connu que la paix et la démocratie, je veux dire : souvenez-vous combien elles sont fragiles ! Souvenez-vous combien elles sont précieuses !
Plus que jamais, commémorer notre histoire commune n’est pas faire preuve de nostalgie. C’est au contraire savoir regarder l’avenir sans rien oublier de notre passé. C’est assumer cette immense responsabilité : être à la hauteur du sacrifice des combattants du 6 juin 1944.
(crédit photo : Rozenn Nicolle)