L’Université du Québec à Montréal (UQAM) est en grève depuis deux semaines. Alors que plusieurs associations ont voté des grèves générales illimitées (GGI), des étudiants français sont concernés par ces mesures. Certains y sont favorables, d’autres s’en inquiètent ou s’y opposent carrément. Petit détour sur le climat du printemps 2015.
Par Charlotte Lopez et Camille Feireisen
Mi-février, plusieurs associations universitaires ont voté des mandats de grève, à compter du 23 mars. Les revendications : lutter contre l’austérité du gouvernement et les hydrocarbures. Mais, depuis l’annonce du 24 mars sur les mesures d’expulsion qui visent neuf étudiants de l’UQAM et les injonctions déposées par certaines universités, la mobilisation étudiante prend un nouveau tournant. Dans la nuit du mercredi 8 au jeudi 9 avril, près de 200 militants pour la grève ont occupé le pavillon J.-A.-DeSève de l’UQAM, pour protester contre les arrestations de 22 étudiants par les policiers du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), intervenus au cours de l’après-midi. La soirée a tourné au vinaigre lorsque des manifestants cagoulés ont vandalisé le matériel et les locaux de l’université, causant des dommages conséquents.
Ce qu’en pensent des étudiants français
Certains étudiants français se sentent interpellés et concernés par les événements qui se déroulent au sein de leur université québécoise. Représentés par leurs associations facultaires, ils sont appelés à prendre position lors de leurs assemblées générales (AG).
[caption id="attachment_10513" align="alignleft" width="300"] Saccage à l’UQAM la semaine dernière – Crédit : Facebook[/caption]Pour la jeune étudiante française en science politique, Martine (le prénom a été changé) dont l’association facultaire (l’AEMSP) a voté pour une GGI, ces assemblées ont changé sa vision de la grève étudiante. « J’ai compris que les enjeux nous dépassaient, il y a quelque chose qui nous unit tous, déclare-t-elle. L’austérité du gouvernement va toucher aussi les étudiants internationaux, notamment les Français qui vont payer beaucoup plus cher, donc il y a des choses concrètes pour lesquelles on doit se battre. »
Selon elle, les conséquences sur le déroulement de sa session sont minimes par rapport à toute la lutte qu’il y a derrière. « Le peuple québécois nous accueille, ce sont des enjeux qui nous touchent et qui vont les toucher, souligne-t-elle. C’est pour leur avenir et c’est important. »
« Les manifestations et les évènements comme mercredi soir m’ont radicalisée encore plus. »
Des événements comme ceux de mercredi soir et les récentes manifestations, ont fini par la convaincre. « Quand j’ai vu de quoi les policiers étaient capables, ça m’a radicalisée encore plus, précise-t-elle. Tu es nécessairement perturbée par des arrestations comme ça. Moi aussi j’ai levé des cours et c’est une décision qui est prise de façon totalement démocratique. »
Pour Martine, ces arrestations représentent une atteinte à la liberté d’expression. « Moi j’ai appelé à la GGI parce que si on accepte que le rectorat, l’administration de l’université et la police puissent faire cela, c’est un problème pour toutes les luttes étudiantes à venir, lance-t-elle. Juste pour ça on devrait partir en grève, par devoir, par conscience et par respect pour les opinions politiques divergentes. »
« Il n’y a pas de droit de grève des étudiants clairement inscrits dans le droit, on se réclame d’une loi que nous n’avons même pas »
« On ne sait même plus pourquoi on fait la grève. »
D’un autre côté, Nina, également étudiante en science politique, pense que la grève ne mènera à rien du tout. « Illimitée ou pour deux jours, on ne sait même plus pourquoi on fait la grève, s’exclame-t-elle. Il y a plusieurs mandats présentement contre tout et n’importe quoi, ça n’a plus aucun sens et ce n’est pas du tout la bonne manière de faire! »
La jeune fille a été choquée par les incidents de mercredi soir et les personnes cagoulées. Selon elle, il y a d’autres façons de faire la grève, même s’il reste à trouver les bonnes. « Il n’y a pas de droit de grève des étudiants clairement inscrits dans le droit, on se réclame d’une loi que nous n’avons même pas », s’indigne-t-elle.
De plus, elle juge que, pour les étudiants étrangers qui manifestent, cela peut nuire à leur situation et leur statut. C’est toujours mauvais, selon elle, d’avoir un casier judiciaire au Québec.
Toutefois, le professeur en droit à l’Université de Montréal (UdeM), Pierre Trudel, rappelle qu’un casier judiciaire ne traverse pas les frontières, sauf si l’infraction commise est de caractère criminel. Aussi, le militantisme ne devrait pas poser problème, selon lui. « Il faut faire la différence entre les infractions aux règlements municipaux qui ne sont pas inscrites dans notre dossier et des actes criminels qui risquent de nous suivre toute notre vie », nuance-t-il.
Un risque pour les permis d’étude ?
Étudiant français en design de l’environnement, Jean (le prénom a été changé) s’inquiète pour sa session. Son association facultaire (l’AFEA) a voté pour une grève jusqu’au 3 mai 2015. « On ne peut pas se permettre de retard étant donné que nous avons un visa étudiant limité en termes de durée, explique-t-il. Si on perd la session et qu’on doit la rattraper, on va dépasser notre visa. » Le jeune homme craint de perdre l’argent investi dans sa session perdue, et de devoir payer des frais de renouvellement de visa pour finir son baccalauréat.
Alors qu’il pensait rester vivre au Québec et demander sa citoyenneté canadienne, il remet en question ses plans. « J’essaye de faire la comparaison entre la situation ici et en France et la seule conclusion qui me vient à l’esprit c’est la mentalité francophone : une mentalité de contestation permanente », conclut-il.
Annuler la session, vraiment ?
[caption id="attachment_10515" align="alignright" width="300"] La police pénètre dans l’UQAM dans la nuit du 8 au 9 avril – Crédit : Facebook[/caption]Le ministre de l’Éducation, François Blais, a menacé d’annuler la session. Dans les faits, pourtant, la session se termine d’ici une quinzaine de jours et les professeurs doivent informer leur département s’ils jugent que certains cours devraient être reportés.
À la faculté des arts et sciences de l’UdeM, le doyen, Gérard Boismenu, a fait parvenir un courriel aux directions de département et école, pour rappeler quelques consignes. « Pour l’heure, soit en référence à deux semaines de grève, nous n’envisageons pas de reprise de séance, mentionne la lettre. (…) Sachons qu’il n’est pas envisagé que le trimestre d’hiver 2015, qui se termine le 30 avril, soit prolongé. Nous devons faire au mieux dans le temps dont nous disposons. » Et de rappeler que, si les objectifs pédagogiques n’étaient pas atteints, l’annulation de certains cours demeurait envisageable.
Dans la foulée, l’association étudiante cinéma et jeu vidéo de l’UdeM a souhaité rassurer ses étudiants en soulignant qu’il n’était « pas du tout question d’annulation de session » et que « chaque cours sera considéré individuellement ». En somme, la décision revient aux professeurs, en accord avec leur département. Reste à savoir comment vont se muer les revendications des étudiants, jusqu’à l’automne 2015.
(crédit photo : Rozenn Nicolle)
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