Invité vendredi dernier par le Conseil des relations internationales de Montréal (CORIM), l’écrivain et Académicien, Dany Laferrière, a donné une conférence tout en humour et en sensibilité sur le thème de l’immigration.
Par Sarah Laou
Inspirant, pétillant, généreux, l’intellectuel québécois d’origine haïtienne ne perd rien de sa verve et de son panache. Il l’a d’ailleurs démontré lors de cette conférence Immigrer ou comment s’infiltrer dans une nouvelle culture organisée par le CORIM au Sofitel de Montréal. Régulièrement sollicité par l’ensemble des institutions médiatiques, politiques et culturelles, Dany Laferrière, deuxième homme noir et premier québécois à être élu membre de l’Académie française, cumule les succès littéraires et les distinctions : le Prix Renaudot en 2006 pour Vers le Sud, le Prix Médicis en 2009 pour L’Énigme du retour ou encore le Grand prix littéraire international Metropolis bleu en 2010. L’écrivain, qui fait l’admiration de ses pairs, vient également de recevoir le prestigieux Prix littéraire Ludger-Duvernay de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, samedi dernier, dans le cadre du Salon du livre de Montréal.
Multiplier les échanges interculturelsImpliqué dans la vie culturelle québécoise, Dany Laferrière a remis cette semaine un montant de 25 000 dollars au programme d’Échanges d’écrivains et d’ateliers-résidences Québec-Haïti du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Une somme provenant du surplus des souscriptions recueillies pour son intronisation à l’Académie française. Ce don a été salué par la ministre de la Culture et des Communications, Hélène David, présente à la conférence : « Dany, c’est un modèle d’être humain d’une grande générosité. Un mélange d’intelligence, d’humour, d’amour et de profondeur. Qu’aurions-nous pour donner du sens aux choses, si nous n’avions pas ces artistes exceptionnels ? Alors merci, vous m’aidez beaucoup en cette période », a adressé la ministre émue à Danny Laferrière. Cette dernière a ensuite expliqué être d’autant plus troublée, car elle devait se trouver à l’hôtel Radisson de Bamako au lieu d’être à cette conférence ; au même moment s’y déroule une sanglante prise d’otages. Elle explique : « Nous devions assister au 10e anniversaire de la convention sur la diversité culturelle organisée par l’OIF. Nous croyons, en effet, que la culture doit se rencontrer. Elle est ce qui doit unir les pays francophones. Mais, je n’ai pas pu me rendre au Mali pour diverses raisons…cet attentat, c’est un choc », ajoute-t-elle.
Pour la sortie de son dernier roman Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo, qui relate la rencontre entre un homme du sud vivant depuis 40 ans au Québec et un jeune migrant africain fraîchement débarqué, Dany Laferrière a accepté de livrer un peu de son expérience devant l’assemblée venue le rencontrer ce 20 novembre, avant d’entamer une discussion avec Normand Baillargeon, essayiste, chroniqueur et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
[caption id="attachment_12821" align="aligncenter" width="640"] « Tout ce qu’on ne te dira pas, Mongo », dernier roman de Dany Laferrière.[/caption] Message de Dany Laferrière aux nouveaux arrivants« Infiltrer une nouvelle société, c’est un élan ; quelque chose qui nous aspire, nous absorbe, explique Dany Laferrière. Et il s’agit de préférer la solitude (…). J’ai appris le pays par les pires émissions de télévision, plaisante-t-il. Mais aussi en flânant dans la ville et en évitant le confort du ghetto. Car nous habitons tous des ghettos, avec les mêmes salaires, les mêmes voitures, les mêmes musiques …. Quand je suis arrivé, j’étais seul comme Mongo, ajoute l’écrivain. On m’a proposé un petit restaurant haïtien et j’ai répondu que je voulais manger dans un restaurant québécois, c’est-à-dire un restaurant qui sert de la cuisine italienne ». La salle est hilare.
Il évoque ensuite l’importance de ne pas se laisser aller aux clichés et aux préjugés en tant que nouvel arrivant. « On projette toutes sortes d’images lorsque l’on arrive dans un nouveau pays. Et, si la personne ne concorde pas à limage, c’est que la personne triche. Non, la personne ne triche pas, c’est simplement que vous ne la connaissez pas. Pour la connaitre, j’ai mis 40 ans », confie-t-il.
Pour le romancier, l’exil est un phénomène positif qui permet une plus grande ouverture d’esprit, une plus grande sensibilité au monde. « L’exil devrait être un mode d’éducation, déclare l’Académicien. Je me sens un immigré sur la planète, le monde est ma patrie et je payerai pour l’être si je ne l’étais pas ».
Il poursuit : « Immigrer, c’est d’abord partir, comme l’enfant, et pénétrer une forêt inconnue le plus loin possible. Une fois que l’on a pris la route, il faut accepter qu’on ne retournera plus. Parce qu’on ne retourne pas. Les choses ne se figent pas. Le pays lui-même change sans cesse. »
Au sujet de l’Académie française et du travail de préservation de la langue, il déclare : « Certes, nous essayons de garder en vie cette langue. Mais je n’aime pas qu’on idéalise trop la langue. Ce n’est pas une divinité au-dessus des gens. La langue, pour qu’elle existe, doit pénétrer dans les corps. C’est pourquoi cette langue m’appartient plus que je lui appartiens. » conclut-il.
Un poème en hommage à ParisDany Laferrière a tenu a rendre hommage à la France en lisant son poème : Paris, 1983. Ce texte, qui traverse le monde depuis sa publication le 16 novembre dernier à la suite des attentats, est pour l’artiste une façon de transformer avec tendresse l’indicible et de célébrer un patrimoine culturel universel. Il donne sa vision de la Ville lumière : « Le grand spectacle à Paris, ce n’est pas le Louvres, ce n’est pas la tour Eiffel, c’est Paris lui-même. Paris n’appartient pas aux Français, c’est une ville qui appartient au langage, à l’humanité. Paris, c’est une construction humaine et c’est, je crois, ce que nous avons fait de mieux ».
(Crédit photos : Sarah Laou)]]>