Par Nathalie Simon-Clerc, journaliste
« Les Français vont élire des conseillers consulaires, plus proches, plus au fait des problèmes sur le terrain, un peu comme des conseillers municipaux », nous chantait Hélène Conway-Mouret en février dernier, alors ministre des Français de l’étranger.
Ah, quelle belle intention démocratique Madame !
Mais encore aurait-il fallu y mettre les moyens, car aujourd’hui, au lendemain de ces élections consulaires, force est de constater que la démocratie se porte mal.
Ces élections n’ont intéressé que 12% des électeurs. Comme d’habitude finalement… La faute aux fainéants qui ont préféré passer leur samedi à se prélasser au soleil ? Un peu facile…
Ces élections sont illisibles, incomprises des Français qui vivent loin de la France, imaginées par des fonctionnaires parisiens qui confondent une province canadienne avec une ville de banlieue. Les conseillers municipaux élisent un maire, qui aura des comptes à rendre aux électeurs de sa commune six ans plus tard. Les conseillers consulaires se réuniront autour du chef de poste consulaire ou de l’ambassadeur qui présidera l’assemblée, un fonctionnaire qui n’a de compte à rendre qu’au ministre des Affaires étrangères, même s’ils sont pour la plupart très dévoués à leur communauté. Belle entorse à la démocratie !
Ces élections n’ont reçu aucuns moyens. Les candidats ont fait campagne à leurs frais, en s’endettant souvent, dans des circonscriptions gigantesques, grandes comme trois fois la France pour le Québec. Les élus sont bénévoles, et percevront de minables remboursements de frais annuels, qui ne couvriront même pas un déplacement à Moncton.
Comme disait un candidat montréalais avec dédain : tout le monde n’a pas 10 000$ à mettre chaque année dans un mandat de conseiller AFE… C’est un déni de démocratie mais il a malheureusement raison!
Ces élections à rabais n’ont même pas droit à une commission électorale, garante de la démocratie, chargée de vérifier la validité des candidatures et des documents électoraux sur le fond. Alors toutes les dérives sont permises. À Montréal, une fausse liste socialiste a failli battre la vraie liste de gauche, si des délégués ne s’étaient pas battus pour faire annuler une partie de ses bulletins. Une fausse liste UMP, plutôt bien ficelée, est arrivée en tête des listes de droite, et serait même arrivé en tête du scrutin si 200 de ses bulletins n’avaient pas été annulés. Les candidats ont du faire la police entre eux, au point d’en arriver presqu’aux mains, pour faire annuler quelques bulletins en s’appuyant sur le code électoral, et même au regret de tous, annuler des bulletins UDI par équité, car l’État n’a pas fait son travail : garantir la sincérité du scrutin, et donc notre démocratie.
Mais ils n’ont qu’à faire un recours me direz-vous ? Après une campagne couteuse, et un mandat bénévole, quel candidat peut payer un avocat et faire un recours devant le Conseil d’État à plusieurs milliers de kilomètres de la mère-patrie, à moins d’être soutenu par un parti décidé à aller jusqu’au bout ? Qui va prendre la responsabilité de faire annuler une élection au risque de s’entendre dire : « Les Français en ont marre, on n’a déjà pas de participation… ». Les manipulateurs ont encore de beaux jours devant eux.
Les Français de l’étranger sont des électeurs au rabais, traités tantôt « d’exilés fiscaux », tantôt de « forces vives de la nation », au gré des besoins politiques. Ils n’ont reçu, pour ces élections, ni profession de foi, ni information médiatique (sauf au Québec grâce à nos journalistes bénévoles), ni bulletins de vote.
Mais pour eux, on a inventé le vote par internet ! Tout est dématérialisé, les professions de foi, les bulletins, le vote, … et la participation. Beaucoup de Français ignoraient que nous votions ce 24 mai en Amérique du nord, car certains de nos compatriotes ne sont toujours pas connectés à internet, et lorsqu’ils le sont, ils font face à une pluie de courriels, qui finissent souvent en spam. Quant aux opérations de vote, il faut être un « geek » pour avoir installé la bonne version de Java, avec le bon navigateur, pour tenter de voter en ligne. Et quand bien même avions nous voté par internet, il restait à se déplacer pour les élections européennes, ou à se résigner à faire partie des 57% d’abstentionnistes.
Pour des raisons budgétaires, on nous a promis 443 conseillers, pour le prix de 153 conseillers AFE auparavant. 443 conseillers, sans moyens, sans prérogatives, sans indemnités. Alors ces postes sont-ils réservés aux retraités, aux professions libérales, aux « nantis » comme disait la gauche avant ?
Mais peu importe, puisque ces élus sont aussi et surtout là que pour constituer le corps électoral d’un sénat que chacun veut à sa main. Et c’est ainsi que l’on a vu des sénateurs UMP faire campagne contre les listes de leur parti pour se constituer leur propre corps électoral.
Aux sénateurs des Français de l’étranger, on a rajouté des députés, empêcheurs de tourner en rond des sénateurs, leur disputant leur territoire, et dont les querelles se sont transposées sur le terrain. À Montréal, trois listes d’une même obédience politique, soutenues par trois parlementaires différents, se sont battus à coups de soutien ou de faux soutiens.
Pitoyable spectacle pour les électeurs qui préfèreraient que l’on organise leur représentation plutôt que d’empiler des couches d’élus pour faire plaisir aux uns et aux autres.
Quant aux autorités consulaires et diplomatiques, elles ont essayé au milieu de cette cacophonie, d’informer leurs compatriotes depuis des mois, et d’organiser au mieux ce magnifique exercice démocratique que sont les élections. Livrées à elles-mêmes pour recevoir les candidatures (avec les couacs que l’on connaît à Québec) et les bulletins de vote, elles ont également du faire face aux contestations tumultueuses dans les bureaux de vote, jusque tard dans la nuit.
La démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres, disait Churchill, c’est la raison pour laquelle j’y tiens tellement. Mais pour paraphraser le Général de Gaulle, il ne suffit pas de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant « démocratie, démocratie, démocratie », encore faudrait-il s’en donner les moyens.
Effectivement, compte tenu de l’opacité du vote électronique et ses possibilités de fraude il serait intéressant de savoir qui et sur quels critères a pris une décision allant à l’encontre des articles 30 et 66.2 du code électoral.
Il est clair qu’une commission électorale s’imposait.
Je pense que tout le monde regrette les annulations des votes de l’UDI dont les bulletins de vote respectaient la loi dans son esprit. Ce n’est pas le cas pour les deux autres listes qui ont manifestement trompé les électeurs, ceux qui pensaient voter pour Juppé alors que ce n’était pas le cas ou, pire encore, ceux qui pensaient voter à gauche mais qui ont voté à droite.
Rétablir ces votes allait contre le désir des électeurs c’était un déni de démocratie, pire, une incitation à tricher pour les prochaines fois.
Les choses sont faites et personne ne fera, je le pense, de recours.
Nathalie, tu pourrais écrire un nouvel article fort intéressant et instructif sur qui a décidé l’acceptation de ces votes et sur quels critères.
Bonjour, votre commentaire me parait juste.
Concernant la nullité ou non des bulletins, ce sont les bureaux de vote seuls qui ont la charge de décider (http://www.vie-publique.fr/actualite/faq-citoyens/faq-bureau-vote/#art11324), ce qui a été fait dans les règles pour le scrutin papier.
Cela pose donc le problème de l’opacité totale du « bureau de vote » en ligne qui a décidé de ne pas annuler les bulletins frauduleux… Sur quels critères ? Pourquoi ? Comment ?
La possibilité d’un recours n’est pas a exclure cependant, il y a clairement eut tromperie et même si la très grande majorité de nos concitoyens n’ont pas voté, une bonne partie de ceux qui l’ont fait se sont faits flouer, ce qui est inacceptable.
Je veux dire, ces listes ont eut des sièges ! Comment faire confiance à des représentants manipulateurs et tricheurs ? En effet comme souligné dans l’article, ce genre de pratiques, si elles sont en fait tolérées, ne vont pas aider les citoyens à renouer avec la politique et à avoir confiance en la démocratie…
Bravo Nathalie, non seulement un beau coup de gueule mais aussi un article de fond. Le meilleur que j’ai lu sur le sujet. Bravo.
Merci Jean-Pierre !
« Et c’est ainsi que l’on a vu des sénateurs UMP faire campagne contre les listes de leur parti pour se constituer leur propre corps électoral »
Petite pensée émue pour Louis Duvernois, qui doit se sentir bien seul… et pour Robert Delpicchia, qui doit ricaner dans sa barbe! Qui d’entre ces « parlementaires » va pousser la mise en place d’une commission électorale?
Le pire c’est que Lubrina va probablement monter sa liste AFE avec Mohsen en #2 en nous prétextant l’ouverture à gauche… Non mais quel escroc ce type c’est juste hallucinant!
Les listes ayant été incapables de fournir des bulletins de vote conformes au code électoral sont donc bien médiocres.
Je trouve cela inquiétant que des personnes se présentant pour être élues ne se donnent même pas la peine de respecter un code qui est pourtant clair.
Je trouve également étrange que certains bulletins aient été invalidés seulement partiellement. Soit il y a des règles et on les applique, soit il n’y en a pas.
Concernant ces bulletins, soit ils sont acceptés et on les compte, soit ils ne le sont pas et on les compte pas ; mais dans les deux cas il faut prendre en compte la totalité des bulletins et décider selon des règles claires et impartiales.
Laisser ce choix aux bureaux de vote ne me semble pas très légitime, voire légal.
Et quid des votes en ligne ? Pourquoi alors ne pas invalider ces bulletins-là aussi, par exemple en utilisant les mêmes proportions que les annulations du vote papier (en présupposant la légitimité de l’invalidation partielle de ce dernier) ?
En tout cas, la vraie information c’est qu’avec à peine 12.5% de votants, l’écrasante majorité ne se sent pas du tout impliquée et se moqiue bien des gesticulations des un(e)s et des autres, qui de loin semblent plutôt cocasses, surtout quand on connait le coût de l’organisation d’élections…
PS : je suis bien conscient que l’absence de commission électorale n’a pas facilité les choses et je ne blâme pas les employés du consulat qui ont très certainement fait tout leur possible pour améliorer la situation.
Très beau coup de gueule.
Merci Stéphane, j’apprécie.
Que dire encore de la démocratie, lorsque qu’un de ses soi-disant représentant sème sur son parcours de « vraies-fausses » listes, situées à l’opposé même de ses « convictions » afin d’être bien certain de son élection, mettant en tête d’une de ces listes une potiche qui ne lui servira qu’à parvenir à ses fins, n’hésitant pas à tromper les électeurs… Lui, qui ne cesse d’ennuyer tout un chacun du matin au soir des élections, donne des leçons de morale, cours de droite à gauche pour inciter ses électeurs à choisir le bon bulletin (le sien, bien sur, qu’il leur montre afin qu’il n’y ait pas d’erreur possible…) au mépris des règles électorales, et se réclame de soutiens qu’il n’a pas ! Mais celui-là même qui, au bout du compte, se retrouvera élu ! Parodie de démocratie, sans aucun respect pour toutes celles et ceux qui respectent le droit et les électeurs. Comment, alors, croire encore en tout cela ?
En tant que candidats, nous le savions avant de nous engager dans la campagne électorale. S’il y avait plus de frais de remboursés, les candidats ne le feraient probablement pas pour les bonnes raisons… Et qui paierait pour cela finalement ?
Est-ce que certains candidats pensaient se faire rembourser la campagne électorale avec la subvention pour les déplacements ?
Pour ce qui est du faible taux de participation, c’est aussi à chacun de nous de mobiliser autour de nous et de faire passer le message de l’importance d’être sur une liste consulaire et d’aller voter… Et je souhaite que ce soit également l’engagement de nos élus.
Sacré coup de gueule ! Merci et bravo ! Cet article est un excellent résumé de la situation et des sentiments que la majorité d’entre nous ont partagés au soir de cette élection. Nous avons tous notre part de responsabilité dans ce fiasco électoral et nous devrions tous réfléchir à l’image déplorable que nous avons donnée aux électeurs, seulement 12 %, qui ont pris le temps de nous lire, de nous écouter et nous soutenir en venant à nos réunions, qui se sont déplacés à l’urne pour faire leur « devoir électoral« et qui nous ont fait confiance. Ce devoir des électeurs que nous sollicitons à grand coup de promesses que nous ne tenons pas toujours, oblige les candidats à une obligation d’honnêteté et de respect. Sinon, il ne faudra pas se plaindre des taux d’abstention élevés, du vote vers les extrêmes, et du manque de confiance grandissant des électeurs face aux personnels politiques qui se comportent comme des notables imbus d’eux-mêmes. Le tailleur et le sac faussement Chanel ne fait pas le socialiste et dépenser 10 000 ou 15 000 $ par année et s’en vanter face à des candidats bénévoles qui n’ont que leurs convictions et leur dévouement à mettre au service des citoyens ne grandit pas l’individu qui tient de tel propos.