Lundi, le journaliste et spécialiste de l’Union Européenne, Jean Quatremer, était l’invité du Cérium, à l’occasion du lancement de la chaire Jean-Monnet. Défenseur acharné de l’Europe, le journaliste n’en dépeint pas moins ses nombreux défauts et mais aussi son absolue nécessité.
« Je suis heureux d’être au Québec et de quitter l’europessimisme qui règne en France! », assène le journaliste en guise de préambule. La table est mise, et durant 40 minutes, le journaliste déroule son exposé sur la « déconstruction européenne? » devant une salle comble. Depuis 30 ans, le journaliste de Libération observe et analyse les soubresauts de l’Europe. Son blog, Les coulisses de Bruxelles, est une référence, et les 80 000 abonnés à son fil Twitter, attestent de l’intérêt de son analyse. Ardent défenseur de la langue française, il refuse pourtant la décoration des « Arts et Lettres » en 2013, au nom de l’intégrité journalistique.
L’Europe est un espace de paix
Selon lui, la construction européenne est en train de s’épuiser, et pourtant, dans un élan d’optimisme, il rappelle la genèse de l’Union Européenne (UE). « C’est un espace de paix, dans lequel on partage des souverainetés, il n’y a d’équivalent nulle part dans le monde », lance M. Quatremer, qui rappelle que la France, dans son histoire, a fait la guerre à toute l’Europe.
Depuis 2005 et le rejet du traité constitutionnel par la France, la tentation du rétrécissement est présente. Il rappelle pourtant que l’UE a réglé la fin du communisme par la paix. Cependant la défiance des peuples s’accentue. « L’idée même d’irréversibilité est remise en cause », justifie le journaliste. Devant les consuls de Grèce et d’Allemagne assis côte à côte dans la salle, il expose que la Chancelière Angela Merkel avait préparé le plan de sortie des Grecs de la zone Euro. Sans ambages, il dénonce l’UE qui « humilie » la Turquie, en négociant sans négocier, et prédit que l’on pousse les Turques dans les bras des islamistes radicaux.
L’Europe, le pragmatisme empreint de générosité
[caption id="attachment_12047" align="alignleft" width="300"] Le consul d’Allemagne à Montréal, Walter Leuchs, et le consul de Grèce à Montréal, Nicolas Sigalas, assistaient à la conférence de Jean Quatremer[/caption]Jean Quatremer regrette le sentiment anti-européen qui monte en Europe. Il concède que les pays ont du mal à accepter de partager leur souveraineté, et que les européens ont le sentiment que « Bruxelles se mêle de tout mais ne règle pas bien les problèmes ». En guise de réponse, il donne un chiffre : l’Europe concentre 50% des dépenses sociales de la planète.
Car l’homme reste résolument optimiste, et rappelle que l’UE a été fondée sur la crise, et n’existe que dans la crise. Il balaie les idées reçues d’un revers de main : « L’Europe, c’est le pragmatisme empreint de générosité ». Il en veut pour preuve les 320 milliards d’Euros prêtés à la Grèce en cinq ans. « On ne les reverra jamais », lance le journaliste, qui décode : « On veut qu’Athènes fasse les réformes demandées ».
Moi je sais pourquoi on a fait l’Europe, pour la paix!
S’il reste optimiste, il prévient du danger de la guerre, et craint que l’Europe n’y soit contrainte un jour pour subsister. Il assure que la jeune génération a oublié le sens de l’Europe. « Moi je sais pourquoi on a fait l’Europe, pour la paix! », complète le journaliste, qui explique que ses enfants n’ont jamais connu la guerre ou même tenu un fusil. « Ils n’ont pas ce sentiment de risque imminent, ne savent pas ce qu’est une frontière ou un passeport », explique M. Quatremer.
« En France, je suis un des rares à défendre l’Europe, et on me regarde comme un illuminé sympathique », reconnaît le journaliste, qui n’est pas tendre avec François Hollande, et souligne le courage d’Angela Merkel dans la crise de la zone Euro et celle des réfugiés. « L’Allemagne occupe l’espace politique laissé par la France, car la France n’a pas d’idées », persifle M. Quatremer.
La soirée s’est achevé par le lancement de la Chaire Jean-Monnet de l’Université de Montréal, financée par la Commission Européenne et dirigée par Laurie Beaudonnet. La chaire a pour mission d’encourager l’enseignement et la recherche sur l’UE, et de diffuser ces connaissances vers le grand public. Le site de la chaire est accessible au www.euroscope.ca.
(crédit photo : Nathalie Simon-Clerc)
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