Par Bertile de Contencin et Nathalie Simon-Clerc
(crédit photo : F.de La Mure/MAE)
Les premières élections des conseillers et délégués consulaires, prévues par la réforme de la représentation des Français établis hors de France, devraient avoir lieu en mai 2014. Devant, la grogne de certains élus locaux, on peut s’interroger sur la capacité de cette réforme de mener à bien son principal objectif : rapprocher les Français de l’étranger de leur communauté nationale.
“Je souhaiterai, en conclusion, revenir sur ce qui aurait pu nous diviser, mais qui nous réunira j’en suis certaine : la réforme de la représentation politique de nos compatriotes. La loi du 22 juillet 2013 consacre une réforme qui était attendue de longue date et va dans le bon sens : celui de l’équité, de la proximité et de la vitalité citoyenne”, déclarait Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l’étranger, lors de la 19e session plénière de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), en septembre dernier.
De l’aveu même de la ministre, l’adoption de ce texte a fait couler beaucoup d’encre, notamment parmi les élus locaux de droite comme de gauche. Au coeur de la polémique : la révision du statut et du mode d’élection de l’Assemblée des Français de l’étranger, principale instance consultative du gouvernement en ce qui a trait aux intérêts des Français expatriés.
De nouveaux conseillers consulaires
Avant la réforme, l’AFE se composait de 155 conseillers élus pour 6 ans au suffrage universel direct par les Français inscrits sur les listes électorales consulaires, auxquels s’ajoutaient 12 sénateurs, 11 députés et 12 personnalités qualifiées nommées par le Quai d’Orsay. L’assemblée était présidé de droit par le Ministre des Affaires Étrangères.
Avec la réforme, 444 conseillers consulaires (1) et 65 délégués consulaires, répartis dans 15 circonscriptions, seront élus au suffrage universel pour 6 ans. Ces nouveaux “élus locaux” se chargeront désormais d’élire parmi eux 90 conseillers pour siéger à l’AFE (2). Le président de l’assemblée sera élu parmi ses membres.
Brigitte Sauvage, Conseillère à l’AFE (ADFE) depuis de nombreuses années à Montréal, reste perplexe quant à l’efficacité de la démultiplication des représentants élus. « Quels moyens auront ces élus ? Quelles seront les fonctions de ces conseillers et les modalités de leur mandat ? Les décrets d’application ne sont pas publiés. Beaucoup de questions restent encore en suspens », explique l’élue montréalaise. De plus, elle regrette que le nombre d’élus à l’AFE passe de huit à quatre seulement pour le Canada. Même si Brigitte Sauvage note que les nouvelles assemblées fonctionneront « à budget égal », elle s’interroge sur les moyens d’action de ces nouveaux élus, trois fois plus nombreux.
François Lubrina, Conseiller à l’AFE (RFE) à Montréal, implanté dans la communauté française depuis plus de 40 ans, déplore la réduction du nombre d’élus canadiens. « Ils auront deux fois plus de surface à couvrir! », lance-t-il. Quant aux futurs conseillers consulaires, il considère qu’ils seront des « potiches », n’ayant qu’un pouvoir de recommandation, dans des assemblées présidés par les consuls de France, « alors qu’ils (les consuls ndrl) ne sont pas élus, et n’ont pas de compte à rendre à la population », précise l’élu du RFE.
Brigitte Sauvage indique par ailleurs, que le nombre de sièges est provisoire et sera ajusté après le 31 décembre, en fonction du nombre d’inscrits sur les listes consulaires. « À Montréal, on est à 1500 inscrits d’un siège supplémentaire! », assure-t-elle (3).
L’élargissement du collège électoral sénatorial
Autre conséquence directe de cette loi, l’élection des 12 sénateurs représentant les Français établis hors de France (auparavant élus par les 155 conseillers AFE) sera désormais confiée à un collège élargi de grands électeurs, constitué des 444 conseillers consulaires, des 65 délégués et des 11 députés. Le gouvernement entend ainsi adapter la représentativité de cette élection à la diversité des situations des Français de l’étranger.
« Il y a danger, que les futurs grands électeurs soient courtisés et choisis par les Sénateurs, à seule fin d’élection », prévient Brigitte Sauvage. François Lubrina va plus loin : « Le parti socialiste essaie d’élargie sa base électorale, c’est une assemblée qui sert à élire des sénateurs! ». Il dénonce une réforme politicienne.
« Cette réforme manque d’audace, il fallait s’orienter vers une co-gestion consulaire entre élus et consulats », croit le conseiller Lubrina.
Une élection illisible?
Joëlle Garriaud-Maylam, sénatrice UMP pour les Français établis hors de France, prévenait dans un communiqué de juin 2013 : “ Le remplacement de l’AFE par des conseillers consulaires dépourvus de pouvoirs et de moyens matériels n’a aucune chance de favoriser un sursaut de participation.” Force est de constater à l’instar de la sénatrice que malgré l’augmentation du nombre de représentants à élire, la réforme actuelle cantonne les conseillers consulaires et l’AFE à des compétences consultatives dont la répartition demeure assez floue.
À cela s’ajoutent plusieurs critiques non dissimulées sur le mode scrutin lui-même. En juillet 2013, Corinne Narassiguin, écrivait sur son blogue : “ Étant contre le suffrage indirect en général (…) j’ai de fortes réserves sur le système de scrutin adopté dans cette réforme. Je crains que le suffrage indirect fasse des conseillers AFE des élus locaux dont l’ancrage local est difficile à comprendre pour les électeurs.“
Brigitte Sauvage, autant que François Lubrina, craignent la cacophonie électorale, par le probable jumelage de l’élection à l’AFE et les élections européennes, les 24 et 25 mai prochains. Si le vote par internet et les professions de foi dématérialisées pourraient être adoptés pour les élections à l’AFE, le vote « traditionnel » serait maintenu pour les élections européennes. Quant aux dates de scrutin, elles pourraient encore être modifiées, « la rumeur parle du mois de juin », confie Brigitte Sauvage.
Au Québec
Actuellement au nombre de cinq, les élus pourraient passer à dix à Montréal (six conseillers consulaires et 4 délégués consulaires), et quatre à Québec.
Le Canada est découpé en quatre circonscriptions (Vancouver, Toronto, Québec, Montréal), qui comprendraient 17 conseillers consulaires et 4 délégués consulaires. Ces 21 grands électeurs éliront quatre conseillers à l’Assemblée des Français de l’Étranger.
Pour François Lubrina, la manoeuvre est politique et ouvre le champs aux parachutages politiques au détriment des candidats implantés dans leur communauté. « Seul un parti comme le PS ou l’UMP, a l’infrastructure pancanadienne pour faire élire un conseiller à l’AFE. Les « petits » candidats locaux n’ont pas ce réseau. C’est un déni de démocratie », conclut-il.
(Consultez ici le tableau des Circonscriptions AFE – source : RFE Infos)
(1) Les conseils consulaires peuvent être consultés sur toute question concernant les Français établis dans la circonscription et relative à la protection sociale et à l’action sociale, à l’emploi, à la formation professionnelle et à l’apprentissage, à l’enseignement français à l’étranger et à la sécurité (article 3 Loi 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France)
(2) L’Assemblée des Français de l’Étranger peut être consultée par le Gouvernement, par le président de l’Assemblée nationale ou par le président du Sénat sur la situation des Français établis hors de France et sur toute question consulaire ou d’intérêt général, notamment culturel, éducatif, économique et social, les concernant. (article 12 Loi 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France)
(3) Les Français résidant au Québec peuvent s’inscrire sur les listes électorales consulaires jusqu’au 31 décembre 2013. Pour vérifier son inscription, il suffit de se rendre sur le site Monconsulat.fr, muni de son NUMIC. Attention ! Votre NUMIC est strictement personnel !