Plus qu’un service de livraison de repas à vélo, la startup montréalaise Fooducoin veut tisser sa toile pour rassembler et éduquer autour d’une économie écologique et solidaire.
Par Lise Ouangari
Le 1er novembre dernier, à la galerie 1040 sur le plateau, l’assistance a tourné le dos aux tableaux qui captent d’ordinaire l’attention du public pour dévorer les petits fours, les salades, les sandwichs et le chocolat, tous en vedettes lors du lancement officiel de Fooducoin.
Une entreprise écoresponsable
« Fooducoin est un service de livraison de bouffe engagé dans une logique de quartier », résume Thibault Bloyet, l’un des cofondateurs. Sur leur site internet ou par téléphone, les clients peuvent commander des plats sélectionnés de restaurants partenaires du quartier.
Parmi eux, BMontréal qui a servi ses salades dans des contenants recyclables lors du lancement officiel. Le restaurant s’est, entre autres, associé avec un torréfacteur local et utilise le marre du café comme compost. Car pour s’associer à Fooducoin, les partenaires doivent signer une charte dans laquelle ils s’engagent à limiter leur empreinte écologique et favoriser l’économie locale comme éliminer les emballages non recyclables, proposer des produits locaux, disposer d’un système de compostage…
Au delà du concept de livrer 100% à vélo —contrairement au géant Foodora— Fooducoin se démarque par sa philosophie. C’est d’ailleurs sur l’autel des valeurs que les restaurateurs ont scellé leur alliance avec Fooducoin et non pour répondre à des intérêts économiques. « Fooducoin est venu me chercher dans mes valeurs. C’est pas tant la livraison à vélo qui m’a fait embarquer mais plutôt le fait d’organiser des événements sociaux. Tout ce monde qui est là, ça montre qu’il y a des gens qui veulent changer le système », affirme Alexandra, la gérante du restaurant asiatique Tampopo.
La startup compte multiplier les démarches sociales en organisant des cuisines collectives, des petits concerts ou en essayant de limiter le gaspillage alimentaire en donnant de la nourriture aux itinérants.
Une équipe engagée qui veut faire bouger les lignes
Sur le trombinoscope de la startup dessiné au crayon, Thibault Bloyet arbore une barbe de trois jours, des yeux grands ouverts et des sourcils relevés pour mieux représenter son esprit curieux. « Je suis un peu comme un enfant qui s’étonne de tout, j’ai vraiment toujours envie d’apprendre », dit-il. Et quand on le lance sur l’entrepreneuriat social, difficile d’arrêter ce passionné qui connait bien son sujet.
Après des voyages en Irlande, en Nouvelle Zélande, au Vietnam, puis en Amérique latine, ce jeune Breton étudie la psychologie des affaires en Écosse. Là-bas, il se passionne pour l’entrepreneuriat, un milieu qui « peut faire bouger beaucoup de choses », dit-il.
C’est quand son meilleur ami l’appelle du Canada que Thibault décide de le rejoindre avec un PVT à Montréal.
Au sein du réseau citoyen de solidarité Iciéla, Thibault pique la curiosité de Julien Pauss, un jeune Belge qui a l’idée de faire de la livraison de repas à vélo dans un esprit de commerce solidaire. « Julien a vu le trou dans le marché. Il a travaillé en multinationale pendant trois ans. Il a vraiment eu l’impression que tous les jours il allait empoisonner le monde », rapporte l’entrepreneur.
Un petit pas vers une « économie bleue »
Thibault, qui aime bien citer Idriss Aberkane, renvoie à l’économie de la connaissance et la « blue economy ». « L’économie néolibérale est linéaire et l’idée, c’est que l’économie doit être circulaire. On veut entrer dans cette logique là. Vos déchets, c’est un trésor pour nous » !
[pullquote]L’économie néolibérale est linéaire et l’idée, c’est que l’économie doit être circulaire (…) Vos déchets, c’est un trésor pour nous![/pullquote]
Au delà des solutions, Fooducoin pointe surtout un problème de collaboration. « L’idée c’est de réunir un réseau d’acteurs. Il y a beaucoup d’initiatives en faveur de l’environnement mais ce sont des actions isolées et nous, on veut casser les silos. C’est comme si derrière le vélo, il y a une araignée qui va tisser une toile pour relier les bonnes initiatives et relayer nos convictions », explique Thibault.
En tissant sa toile, Fooducoin espère sensibiliser la population du quartier. « Chaque dollar dépensé est un bulletin de vote », argue Thibault. « Le changement doit venir de la base, à la fois des habitudes de consommation mais aussi du désir du monde. Et Fooducoin a un rôle à jouer sur la compréhension et l’éducation », dit-il.
Aujourd’hui, la startup dessert le Plateau Mont-Royal et une partie de Rosemont-La Petite Patrie en 30 à 45 minutes. Elle espère développer son service dans d’autres secteurs en respectant une logique de quartier. Tout l’enjeu sera que la toile tissée sera assez solide pour encourager les habitants du quartier à se convertir à cette économie solidaire et écologique. Petit à petit, un peu comme toutes les révolutions réussies.
(crédit photo: Lise Ouangari)