Le projet d’instauration d’un revenu de base pour tous et à vie suscite un débat politique, en émergence en France notamment en vue des présidentielles de 2017, plus concret au Québec, où le premier ministre Philippe Couillard a annoncé en février dernier « être sérieux » sur l’étude du sujet.
Par Théodore Doucet
Le projet économique et social du revenu universel réussit l’exploit de traverser les clivages politiques, notamment en France et au Québec. Chez les socialistes, seul Arnaud Montebourg s’est exprimé publiquement en 2012 en faveur d’un « revenu d’existence », dans son livre « Antimanuel de politique ». Cependant, dans ses « Cahiers de la présidentielle » pour 2017 publiés en avril dernier, le Parti socialiste annonce avoir mis en place un groupe de travail sur le sujet « pour évaluer les enjeux et impacts du revenu d’existence ». Sous couvert de la volonté affichée d’assurer « la subsistance de tous », le parti justifie cette hypothèse par « la précarité dans nos sociétés, les mutations anticipées de l’économie de l’immatériel » et la lourdeur administrative des prestations sociales actuelles ». Et de s’inquiéter d’ores et déjà de la vision libérale de ce revenu d’existence, qui viserait à restreindre l’assurance sociale au profit des assurances privées. Les conclusions de cette étude seront rendues « cet automne », sans précision de date.
L’axe Bayou-Lefebvre
Europe-Écologie Les Verts réfléchit quant à lui de longue date au revenu de base. Le sujet est enclin à dépasser le mur idéologique entre la gauche et la droite : Le porte-parole du parti, Julien Bayou, assurait sur France 2 en mars dernier en avoir discuté, entre autres, avec le Républicain Frédéric Lefebvre, avec qui il ne « partage pourtant rien du tout ».
Face au basculement de l’économie lié à l’automatisation et au numérique qui détruisent les emplois, notre modèle social est à réinventer – Frédéric Lefebvre
À droite donc, seul ce dernier s’est prononcé clairement en faveur de la création d’un revenu universel de base, qui représente sa proposition phare en vue des primaires des Républicains. Christine Boutin avait présenté ce projet sociétal… lors des présidentielles de 2002. En visite à Montréal en juin dernier, le député de la Première circonscription des Français établis hors de France exposait : « Face au basculement de la société et de l’économie lié à l’automatisation et au numérique qui détruit les emplois, notre modèle social est à réinventer. » Et de prendre l’exemple du conflit enflammé opposant les chauffeurs de taxi à Uber. Pour lui, « ce combat n’aura bientôt plus lieu d’être car les voitures autonomes feront le travail des chauffeurs ».
Le Québec étudie le dossier, la gauche s’inquiète
C’est du côté du Québec que Frédéric Lefebvre recevra un accueil plus chaleureux à cette idée. Il a annoncé devoir échanger notamment sur ce sujet « en octobre » avec le Premier ministre du Québec Philippe Couillard, qui déclarait dernièrement « être sérieux » sur l’étude d’un revenu universel.
Le revenu universel pourrait jouer un rôle important dans la conception du nouveau système – Jean-Pierre Aubry
Si depuis, aucune annonce n’est encore sortie, il n’est pas à exclure que le sujet soit évoqué à nouveau dans les mois à venir. En effet, le premier ministre a confié la mise en place du revenu de base à son ministre de l’Emploi et de la Solidarité, François Blais, un universitaire qui milite depuis quinze ans pour cette instauration. Ce dernier prône notamment le remplacement des aides sociales diverses versées aux Canadiens (allocations familiales, crédits d’impôts…) par un revenu minimum annuel, garanti et inconditionnel, pour chaque citoyen. « Il pourrait jouer un rôle important dans la conception du nouveau système », estime l’économiste Jean-Pierre Aubry, qui s’intéresse à la question de la redistribution des revenus. Pour M. Aubry, la première étape vers ce système sera de « simplifier le filet social » en s’inspirant notamment de la sécurité vieillesse : cet outil fédéral assure à tous les Canadiens de plus de 65 ans un revenu minimum garanti. Un outil certes universel, mais dégressif selon le patrimoine des bénéficiaires.
Un revenu universel garanti de 12 000 $ par an dès 18 ans – Manon Massé
Le parti Québec Solidaire, qui défend depuis plusieurs années ce qu’il nomme « le revenu minimum garanti » approuve le projet gouvernemental même s’il « n’est pas dupe de la politique de droite », d’après la porte-parole Manon Massé : « D’un côté nous voyons que le gouvernement peut s’appuyer sur les travaux de François Blais, mais depuis l’annonce de Philippe Couillard, son gouvernement est en train de transformer les lois sur l’aide sociale (le projet de loi 70) en défavorisant les plus pauvres. Il y a quelque chose qui ne va pas. » Le parti de gauche souhaite alors instaurer un revenu universel garanti à vie de 12 000 $ par an dès 18 ans, tout en maintenant certaines aides sociales telles que les allocations familiales ou encore l’aide aux personnes handicapées. Cela nécessite « une plus grande contribution des entreprises (notamment minières) à l’assiette fiscale pour la redistribution », prévoit Manon Massé.