« 120 battements par minute », film dramatique français coécrit et réalisé par Robin Campillo, est sorti en salle en 2017 en France. Le film a remporté le Grand Prix et la Queer Palm au Festival de Cannes 2017, ainsi que le Prix Fipresci et le Prix du Public au Festival de Cabourg 2017. Il est sorti sur les écrans du Québec il y a deux semaines.
Par Pascal Eloy, chroniqueur
Ce film raconte l’histoire de Nathan, nouveau venu chez Act Up-Paris dans les années 1990, qui va être bouleversé par Sean, un jeune séropositif, et surpris, parfois, de sa radicalité. Malgré tout, le désir, le sentiment amoureux, l’élan vers l’autre devient encore plus fort, exacerbé par le sentiment d’urgence auquel ce film fait écho. De plus, à travers cette histoire, le réalisateur évoque le temps du sida en France et les actions d’Act Up-Paris à une époque où la maladie fauche des vies dans la quasi-indifférence des instances politiques et pharmaceutiques; à une époque où Act Up mise sur des actions spectaculaires pour faire entendre son cri dans l’espoir, un peu fou, d’attirer l’attention des médias.
Si ce troisième long métrage de Robin Campillo, ancien militant d’Act Up-Paris, demeure une œuvre de fiction, il y décrit aussi réellement Act Up, ses actions, sujets de débats, et personnalités. Et c’est ce qui donne beaucoup de réalisme au film car si, comme moi vous avez connu cette période (j’étais bénévole chez AIDES à l’époque), vous reconnaîtrez aisément les figures évoquées et les actions racontées.
Une reconstitution très juste
Vous reconnaîtrez également le style des débats qui animaient l’ensemble des associations à l’époque : débat sur la responsabilisation des autorités publiques dans la lutte contre le SIDA, la nécessité des politiques de prévention publique à destination des publics marginalisés (LGBT, travailleuses du sexe, étrangers, prisonniers, toxicomanes) et d’une éducation sexuelle complète pour les mineurs, de la reconnaissance des malades comme interlocuteurs légitimes des laboratoires pharmaceutiques, la dénonciation des pratiques anti-éthiques de ces derniers, ou la nécessité de recherches sur les interactions entre les traitements et les drogues ou les thérapies hormonales…
Et le film est tellement réaliste que le journaliste, écrivain et militant Didier Lestrade, cofondateur d’Act Up-Paris, s’est dit « très ému » après avoir félicité les scénaristes pour la justesse de leur reconstitution, ajoutant que le film est « emmené par une équipe d’acteurs et de figurants qui sont renversants par leur justesse et leur dévouement ». Et c’est vrai car Robin Campillo a demandé à ses acteurs d’emmener leurs personnages jusqu’au bout du chemin, sans effets spéciaux, jusqu’à ce qu’ils soient sur le fil du rasoir et qu’ils parviennent ainsi à la vérité d’un moment qui resterait autrement enfoui.
En fait, en voyant ce film, on pourrait s’exclamer comme Sean « Voilà à quoi ressemblent des malades du sida, si vous n’en aviez jamais vu ! ». Cependant, cette virulence agressive n’empêche pas le réalisateur de nous offrir aussi de superbes images de tendresse et de douceur rythmées par de la musique house. Ce cocktail, à la fois festif et inquiet, bouleversant l’ordre moral sans faux-fuyant nous fait battre le cœur au rythme de la house, à 120 battements par minute !
Bref, ce film constitue un formidable moment de cinéma. En effet, avec des fulgurances lyriques ou des scènes casse-gueule voire carrément sexuelles, l’émotion atteint son apogée durant les dernières scènes. Toutefois l’émotion qui s’en dégage n’est pas celle du mélo dramatique, mais plutôt celle de la colère et de l’admiration.
Robin Campillo réussit le défi du souvenir et de la tendresse car, malgré cela ou grâce à cela, ici, la fin de la vie, c’est encore et toujours de la vie !