Anciennement connue pour ses bals, l’Union Française, qui fête ses 130 ans cette année, est devenue un lieu de référence pour tous les francophones de Montréal. Deux habitués qui y dansaient dans les années 60, à la fleur de l’âge, racontent leurs souvenirs.
Par Lise Ouangari
Les 33 tours n’en finissent pas de tourner. La musique de la Java bleue remplit la grande salle. La fumée des cigarettes aussi. Les souliers vernis et les semelles blanchies par le talc se démènent sur le parquet.
C’était un de ces samedis soir, il y a plus de cinquante ans lors d’un bal de l’Union Française. Jean-Claude et Marie-France s’en souviennent encore. Ils avaient une vingtaine d’année à l’époque de la révolution tranquille.
« Ces bals, c’était une partie de la France »
« On était beaux. Avec la cravate. Et les femmes… toutes belles », rapporte Jean-Claude. « On prenait un verre et une fois qu’on était chaud, on aller danser », raconte-t-il. « La bouteille sur la table, tu danses toujours mieux », ajoute Marie-France qui l’accueille dans son salon.
Jean-Claude est un Français arrivé au Québec en 1956, à 16 ans. Il est devenu pâtissier et les bals de l’Union Française sont devenus un rituel de fin de semaine. « J’allais retrouver toute la gang. On était chez nous », dit-il. La java, la valse, le tango, le chacha, le rock’n’roll, le twist… C’est sur le parquet du 429 rue Viger que Jean-Claude a tout appris.
Il n’y faisait pas que danser. « J’avais appris à réciter Cyrano de Bergerac à un cours de théâtre », raconte-t-il avec un brin de fierté. L’Union Française était une façon de rester proche de sa culture. « Ces bals, c’était une partie de la France », dit-il.
« Je peux me passer d’un homme, mais pas d’un bon vin »
Après ses longues journées à l’Hôpital Santa Cabrini où elle était infirmière, Marie-France venait elle aussi se défouler sur la piste. Pour cette québécoise de 71 ans, l’Union Française, ce n’était pas non plus que des bals. « C’était une découverte pour moi de fréquenter une autre culture », dit-elle. « C’est là-bas que j’ai appris à apprécier le vin », poursuit-elle en avouant avoir craché sa première gorgée. « Aujourd’hui je peux me passer d’un homme, mais pas d’un bon vin! »
S’ils se rendaient tous les deux à l‘Union Française, Jean-Claude et Marie-France ne se souviennent pas s’y être croisés. Leur rencontre date d’il y a un an seulement. « Je ne savais pas qu’elle y allait, sans ça je l’aurais cruiser peut-être », lance-t-il avec un clin d’oeil.
[pullquote]C’est merveilleux de savoir qu’ils ont tenu la baraque, de penser qu’on a toujours ça au Québec[/pullquote]
Il aura fallu attendre des décennies plus tard pour qu’ils dansent ensemble. Un concert d’accordéon les a réuni en septembre dernier à l’Union. « On était tous les deux très rouillés », accorde Marie-France. « Ça a beaucoup changé, la piste n’existe plus. C’est coupé en deux. Ça n’a plus le même cachet », regrette Jean-Claude.
« C’était des années de grande liberté »
À minuit, le tourne disque s’arrête. « On fermait toujours le bal avec la gang », rapporte Jean-Claude. Les bals de l’Union Française étaient une partie de leur jeunesse. « C’était des années de grande liberté. Tout le monde dansait les uns avec les autres, tout le monde s’aimait, tout le monde s’embrassait », explique Marie-France.
« C’est merveilleux de savoir qu’ils ont tenu la baraque, de penser qu’on a toujours ça au Québec et que les Québécois y ont participé », se réjouit-elle.
C’est un peu les souvenirs de l’Union Française qui ont forgé les liens d’amitié de ces deux nostalgiques qui, quand ils se voient, en profitent pour aller danser. Ils chantonnent la « Java bleue » et se prêtent à une démonstration de danse sur cet air qui ne vieillit pas et qui finalement, les rajeunit.
(Crédit photo : Lise Ouangari)