Lambert Wilson nous offre, au Théâtre du Nouveau Monde, un hommage classique et vibrant à Yves Montand, une relecture de sa vie à travers une trentaine de chansons émaillée par des textes d’Arthur Rimbaud à Jorge Semprun. On y parle d’immigration, de famille, d’engagement politique et de ses amours, de Marseille à New-York. Lambert Wilson qui a toujours nourri une double passion pour le théâtre et la chanson habite le personnage avec esprit et élégance.
Entrevue recueillie par Cécile Lazartigues-Chartier
L’Outarde Libérée (OL): Vous aviez déjà chanté Montand dans un précédent spectacle Démons et Merveilles. Cette fois-ci quelle a été la genèse de ce spectacle ?
Lambert Wilson : Je voulais refaire de la musique avec Bruno Fontaine parce que j’adore travailler avec lui, qu’il est un génie absolu. Faire de la musique quand il est au piano est une expérience inouïe parce qu’on respire ensemble. Je cherchais une idée pour refaire de la musique avec lui. Je me disais que Montand ferait un bon personnage romanesque dans le sens théâtral derrière lequel se planquer en scène. C’est-à-dire qu’on a une identité, un vrai personnage qui donne accès à tout son répertoire.
J’avais flirté avec l’idée pendant longtemps mais cela s’est précipité car la maison de disque Sony m’a proposé ce projet sur Montand alors que le spectacle s’échafaudait déjà dans ma tête. Le spectacle est très différent du disque cependant. Le spectacle c’est exactement ce que j’avais imaginé. Très jeune, à l’âge où les jeunes écoutent des groupes pop moi, parce qu’il y avait au TNP (Théâtre national populaire alors tenu par son père George Wilson) la chanteuse Pia Colombo qui chantait, j’écoutais du Kurt Weill en français avec une manière très théâtrale et ce chant engagé, cette façon de chanter théâtrale m’a toujours plus. Pour le spectacle, même si on chante des chansons de Montand, c’est un spectacle d’acteur.
Mais le désir initial était faire de la musique et Montand a été le prétexte. Il y avait eu cette prise de conscience de notre tessiture commune et j’étais à l’aise de chanter ses chansons. En écoutant une chanson parfaite de Charles Trenet, j’ai pensé que j’aurais pu avoir envie de le chanter. Sauf qu’il y a beaucoup de choses qui me lient à Montand ne serait-ce que le fait d’être acteur, chanteur, de savoir utiliser le corps, de savoir danser et même de savoir se ridiculiser.
OL : Montand n’a pas écrit, il choisissait ses textes avec beaucoup de talent mais n’a jamais écrit. Et vous ?
Lambert Wilson : Je me suis commis une fois à écrire une chanson et ce fut un désastre. Cela en est embarrassant. Ce n’est pas pour moi du tout.
OL : Au niveau du choix des chansons, Montand avait beaucoup de flair pour choisir ses textes, de votre côté comment s’est passé le choix pour le spectacle ?
Lambert Wilson : Ici la présence du metteur en scène est cruciale. Après le disque nous avons tout réécouté et nous avons fait un choix musical sans égard à la notoriété des chansons. La maison de disque voulait des succès, pour le spectacle nous avons présenté une trentaine de titres au metteur en scène passant une semaine cruciale pendant laquelle Christian Schiaretti, Bruno et moi et nous avons travaillé une cohérence, intercalant des chansons avec des textes sur les thèmes abordés. C’est comme cela qu’on a construit le spectacle, se débarrassant de titres qui au départ semblaient incontournables. Christian Schiaretti a replacé le travail sur la narration. De plus il y a un fil conducteur : il est le directeur du Théâtre National Populaire avec lequel Montand a travaillé quand Jean Vilar était à la direction. Il se trouve également que mon père a été directeur de ce même théâtre. Donc c’est une sorte de triangulation liée au compagnonnage autour du TNP.
OL : L’aspect d’un certain engagement politique loin d’être polémique est cependant présent comme une trame sous-jacente
Lambert Wilson : Schiaretti est clairement un homme de gauche qui a aussi voulu raconter l’essor de quelqu’un issu de l’immigration qui va sublimer sa vie, se dépasser, pas simplement s’intégrer. C’est ce qui nous a permis d’ordonner les chansons. Il y a des grands thèmes, le principal est le rêve d’Amérique, la vengeance du père sur l’humiliation d’avoir été un immigrant à Marseille parce que c’était dur pour les italiens après avoir fui le fascisme. Il s’était tourné vers l’Amérique avec le rêve de la liberté. Finalement, ce rêve il le vit à la place du père et il chante en tournée aux États-Unis en terminant au Metropolitan Opera. C’est la réconciliation du populaire et de l’élite, réconciliation des générations aussi.
OL : Certaines chansons, Madrid par exemple, font écho à l’actualité par rapport aux événements en Catalogne ou encore le choix textes de Jorge Semprun
Lambert Wilson : Le choc n’est jamais là où on le pense. Le moment le plus étrange récemment ce fut en France, il y a une chanson assez engagée et universelle qui s’appelle ‘’Casse-tête’’ qui évoque les violences policières puis on enchaîne avec une petite chanson qui s’appelle Madrid qui oppose Barcelone et Madrid pendant la guerre d’Espagne. L’histoire qui se raconte autour fait prendre des proportions à des choses anodines. Il y a une universalité dans certaines chansons qui provoquent un regain d’intérêt avec les événements actuels. Nous n’avons pas voulu faire un spectacle polémique. Schiaretti est clairement un homme de gauche, il a voulu bien décrire qui étaient ces gens. Un immigré italien qui fuit le fascisme. Parce que l’univers dont il est témoin le pousse à vouloir l’égalité il est aussi communiste. Il n’est pas du côté des nantis. D’ailleurs le spectacle dans certains quartiers chic est reçu d’une façon un peu retenue et dans certaines villes ouvrières, le public est profondément touché car c’est le parcours d’un des leurs finalement.
OL : Vous avez travaillé plusieurs fois au Québec pour des tournages, quelles sont les différences dans les codes culturels entre la France et le Québec ?
Lambert Wilson : C’est très simple. Cela commence dès l’arrivée à l’aéroport, le code différent c’est la chaleur humaine. La sympathie simple et directe dans le moindre des rapports. Il y a certains pays du monde où j’ai trouvé ça, définitivement au Québec et d’une manière générale au Canada. Ce sont des sociétés assez égalitaires, où même si des clivages financiers existent, c’est assez démocratique. En Australie où l’on peut être très riche ou plus pauvre on est traité de la même façon. Comme dans le Nord, en Belgique, on est un individu avant tout est on est respectable en tant que tel et les gens ne se prennent pas trop au sérieux de façon française. Cela colore tous les rapports.
En concert au Théâtre du Nouveau Monde, jusqu’au 5 novembre: www.tnm.qc.ca/piece/wilson-chante-montand/