Le Centre des Monuments Nationaux a inauguré, le 12 février dernier dans les jardins du domaine national du Palais-Royal de Paris, des œuvres des artistes québécois Michel Goulet et français François Massut. Le jardin des belles lettres est composé de dix causeuses poétiques, Les confidents, et de 18 bancs-poèmes Dentelles d’éternité. Chacune de ses œuvres reprend de célèbres citations littéraires de Colette et de Jean Cocteau, deux auteurs qui ont régulièrement foulé les allées du domaine parisien. D’autres poètes et poétesses du XVIII au XXI siècle sont également mis à l’honneur par ces œuvres. L’accès est libre pour tous les curieux et amateurs de littérature francophone.
Par Romain Lambic
L’Outarde Libérée : Pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas, comment vous décririez-vous et vos œuvres ?
Michel Goulet : J’aime travailler avec des objets, des idées qui sont à la limite de la vie et de l’art. Souvent on pourrait même penser que je ne fais pas de l’art. Je suis un sculpteur qui ne sculpte pas, mais qui observe, récupère, décrit, énumère, inventorie le monde des objets banals. Pourtant, ces objets que l’on ne considère pas comme importants dans nos vies y occupent un espace et du temps précieux.
Je me sens toujours concerné par l’espace que j’occupe et c’est souvent le moteur de mes projets. Je tente de comprendre les lieux et les gens à travers les traces qu’ils laissent et mes rêves font la suite. Dans l’espace privé, je privilégie les petits objets, ceux qui s’adaptent au corps et à la main. Je fais des manu-manœuvres qui tentent de jeter un regard différent sur les choses et sur nos habitudes. Je ne cherche jamais à provoquer même si quelques fois, c’est un effet non désiré.
Quelques fois, je pense à ceux qui peuvent se sentir blessé par l’une de mes oeuvres, je suis triste de savoir que tous n’ont pas un esprit d’ouverture qui permette d’accepter la surprise et de se nourrir d’inattendu. Dans mon travail, on peut toujours nommer les choses. On ne peut pas dire : « ça pourrait représenter… » On dit, c’est un livre, une chaise, un soulier, un mot. On peut se demander ce qu’il fait-il là ? Comment cette chose m’interpelle ?
Vous êtes un artiste prolifique, avec plus de 70 œuvres permanentes réalisées depuis 40 ans. D’où tirez-vous votre inspiration, comment pensez-vous vos œuvres ?
Je ne pense pas être un artiste prolifique. Je travaille à mon rythme, chaque jour. Et quand je ne suis pas dans l’atelier, je rêve que j’y suis. Quand j’y suis, je continue à rêver. Quand je me mets au travail, toutes les idées se bousculent et je me dis que je n’aurai jamais assez de temps pour tout faire. J’aime être bousculé, défié, challengé et je réponds présent. Que ce soit pour créer une œuvre publique, une scénographie de théâtre ou un projet hors champ. Ce que je veux avant tout, c’est de ne pas m’ennuyer autant que de ne pas être ennuyeux.
Pour ce qui est des œuvres publiques, quelques fois ce sont des projets que je mets en œuvre ou des projets qu’on me demande d’amorcer. Comme je n’ai jamais aimé faire gros, faire grand, faire volumineux, tous les projets sont à ma portée. La plupart des œuvres publiques sont réalisées par concours. Quelques fois on les perd parce qu’on est trop audacieux ou que nos interlocuteurs n’adhèrent pas à nos concepts ; quelques fois on les gagne et on réalise les œuvres. J’ai certainement plus du double des projets réalisés toujours dans mes cartons. Ils ne seront pas réalisés, car de nouvelles idées se bousculent dans ma tête, générées par de nouveaux lieux.
Avec François Massut, vous avez réalisé dix causeuses poétiques et 18 bancs-poèmes, pour « Le jardin des belles lettres ». En quoi consistent ces œuvres et combien de temps a-t-il été nécessaire pour les créer ?
François est une personne assez exceptionnelle. Il est curieux, informé, agile et aime ouvrir des portes. Nous nous sommes rencontrés à Québec alors que j’installais une œuvre majeure dédiée au 400e anniversaire de la capitale de la Province et pour célébrer ses poètes. 40 chaises poèmes, 40 poètes. Cet artiste français que je découvrais connaissait déjà, autant sinon plus que moi, tous les poètes que je citais. Nous nous sommes revus à Charleville-Mézières (France), puis à Paris pour « Les confidents ». Jaime intervenir dans l’espace et habiter les lieux que je fréquente, j’aime la rencontre et la surprise, qu’on s’émerveille. François aime la littérature, la poésie, le théâtre et l’audace. Nous nous complétons très bien.
Ce qui est intéressant à partir du moment où on montre comment mettre le pied dans l’étrier, c’est que les autres voient que c’est possible de le faire, de passer à l’action. Nous avons collaboré à la réalisation des confidents et les choses se sont merveilleusement bien passées et nous avons convaincu le Centre des Monuments Nationaux (CMN) et l’administratrice du Domaine du Palais Royal, Sylvie Vial, que nous étions fiables et qu’à partir du moment où on s’engageait, on irait chercher les financements. Ce que nous avons fait. Nous devons beaucoup à la Délégation Générale du Québec à Paris et au Conseil des arts et des lettres du Québec pour ces réalisations ; comme nous devons beaucoup à la Fondation Sylvie et Simon Blais. Autant pour Les confidents que pour Dentelles d’Éternité, deux ans plus tard, c’est nous qui avons initié le projet, promu leur nécessité et convaincu qu’ils devaient être réalisés selon nos désirs. Quand je dis « nous », il faut dire que c’est François qui fonce dans les portes. De mon côté, j’encourage et j’assume.
Comment s’est déroulée la création de ce projet, comment le Centre des monuments nationaux français vous a choisi ?
Je crois qu’avec le projet des Confidents, nous avons prouvé que nous pouvions intervenir dans un jardin aussi prestigieux et traditionnel que le jardin du Palais Royal, avec des concepts et des objets surprenants et de nature très contemporaine, sans changer le jardin. Nous nous le disions encore à l’inauguration : nous avons réussi à changer ce qui se passe dans l’esprit de celui ou celle qui déambule tranquillement dans ce jardin, sans le modifier. Il est resté toujours aussi calme et accueillant.
Maintenant, je suis convaincu que les portes sont ouvertes et que d’autres artistes, plasticiens ou littéraires, qui voudront ajouter des œuvres à cette présence seront les bienvenus, s’ils respectent la confidentialité et la délicatesse que nous avons instaurées. Il faudra aussi qu’ils trouvent leurs projets assez importants pour faire comme nous et garantir le financement. Le CMN ne finance pas des projets artistiques. Il finance la bonne tenue et la qualité des jardins et bâtiments d’importance nationale.
Votre collaboration avec François Massut est une parfaite illustration de la coopération artistique franco-québécoise. Quelle est votre vision de ces relations dans le domaine artistique ?
François Massut est la personne parfaite qu’il faut privilégier dans ce contexte. Il connaît déjà beaucoup d’artistes qui travaillent avec les mots et il connaît mieux les poètes québécois que la plupart d’entre nous. Il aime les poètes et ceux-ci le lui rendent bien. Les Québécois rêvent de la France, gardienne de notre langue et de beaucoup de nos traditions. On aime l’esprit de synthèse et la facilité de la plupart à bien articuler les enjeux. On aime l’esprit cartésien et l’esprit fonceur.
Les Français aiment d’abord l’Amérique, sa liberté, son esprit d’aventure et souvent sa désinvolture. Ils aiment nos grands espaces que nous ne visitons pas assez. Nous aimons la diversité de leurs paysages et l’histoire des lieux. À Montréal, on voit de plus en plus d’échanges et de collaborations. Autant chez les littéraires que chez les artistes visuels. Tout mon quartier a « l’accent français ». Je crois que ceux qui tentent leur chance trouvent leur place. Mais trouver sa place est toujours difficile dans ces milieux. Depuis toujours. Tout doit se faire d’abord d’individu à individu. Je rêve que la France découvre ma différence, si elle y trouve son compte et je resterai toujours attentif aux propositions.
Comment ces relations artistiques peuvent-elles alimenter les échanges, les relations et la mobilité franco-québécoise ?
Il faut d’abord oublier que l’on deviendra riche ou archi-connu en traversant l’Atlantique. On deviendra plus riche de culture et d’attitudes en apprenant de l’autre, mais il me semble que c’est en rapportant ces trésors chez soi qu’on sera le plus utile, pas en essayant de conquérir ou de se faire une place dans l’histoire. C’est une position bien personnelle et probablement peu de personnes partagent cette opinion. Je ne veux pas être un artiste international, c’est d’abord illusoire, mais je sais que j’ai beaucoup à apporter et qu’on peut m’apporter beaucoup. J’ai quelques projets dans mes valises et s’ils se concrétisent, j’aurai l’opportunité de rencontrer plus d’artistes français.