Le franco-québécois Philippe Tanguy a été nommé officiellement à la tête de Polytechnique Montréal le 29 novembre dernier par le gouvernement du Québec. La nomination de l’ex Vice-Président de la multinationale Total a fait couler beaucoup d’encre ces derniers mois et pose forcément la question de l’indépendance des recherches scientifiques commandées par l’industrie pétrolière.
La candidature de Philippe Tanguy au poste de directeur général, recommandée à l’unanimité par le conseil d’administration de Polytechnique Montréal en juin dernier, a finalement été approuvée par le gouvernement du Québec. M. Tanguy entrera en fonction en janvier 2018.
Le spécialiste en génie chimique avait de bons arguments à faire valoir. Titulaire d’un doctorat en génie chimique de l’Université Laval, il a été professeur en génie chimique pendant 25 ans, dont deux ans à l’Université Dalhousie (Halifax), huit ans à l’Université Laval (Québec), puis 15 ans au Département de génie chimique de Polytechnique Montréal où il a également été titulaire de deux chaires de recherche. Il est également titulaire d’un doctorat en physique de l’Université Diderot de Paris et a publié près de 300 articles en génie chimique. Il est reconnu pour ses contributions révolutionnaires dans ce domaine et pour sa pratique dans les domaines des procédés de mélange, des écoulements de fluides complexes, de la rhéologie et des procédés de couchage du papier. Ses travaux ont donné lieu à plusieurs innovations dans l’industrie. Une sommité dans son domaine, un » visionnaire scientifique » selon Polytechnique Montréal…
Mais voila, le professeur émérite vient également de passer neuf ans chez Total, la multinationale qui exploite le pétrole des sables bitumineux et des gaz de schiste, en tant que vice-président en charge du développement scientifique international. De plus, selon l’Observatoire des multinationales, « la stratégie climat publiée par Total l’année dernière s’appuie en partie sur l’étude d’une structure liée à Polytechnique Montréal (le Ciraig) pour justifier ses investissements dans le gaz de schiste. »
Craintes ou partenariat bénéfique ?
Au sein de Polytechnique, les avis semblent néanmoins partagés et l’émoi suscité cet été par sa candidature semble s’estomper. Des étudiants du 1er cycle ont créé, en juin dernier, le le Regroupement de Poly contre Total (RPCT) et publié une lettre ouverte dans Le Devoir, pour exprimer leurs craintes quant à la nomination d’un dirigeant d’une multinationale pétrolière à la tête de leur établissement. L’Association des étudiants des cycles supérieurs de Polytechnique (AÉCSP) considère que la décision prise par le comité de nomination était unanime et indique que les étudiants des cycles supérieurs y sont majoritairement favorables.
Dans une entrevue à l’hebdomadaire étudiant Quartier Libre, Arman Y. Aksoy, président de l’AÉCSP précise: « On peut se retrouver dans un contexte où l’industrie prendrait contrôle de la recherche. C’est généralement la peur qui découle de la littérature, tout le monde est inquiet sur le même sujet. De mon point de vue, ces partenariats sont plutôt bénéfiques pour l’insertion de nos étudiants sur le marché du travail. »
Alain Deneault, auteur de De quoi Total est-elle la somme ?, a dénoncé cette nomination le 30 novembre dernier dans une entrevue au Journal de Montréal: « On a aujourd’hui une firme comme Total qui fournit à une grande école comme Polytechnique son directeur général. Le symbole est fort ». Il s’étonne, dans cette même entrevue, que « les contribuables québécois financent désormais un centre de recherches qui sert l’industrie pétrolière. Le budget de recherche de Polytechnique Montréal est de 75 millions $. »
Du côté politique, Manon Massé, porte-parole de Québec Solidaire et Alex Tyrrell, chef du Parti vert du Québec, se sont inquiétés de l’arrivée de M. Tanguy dans une lettre ouverte en juin dernier.
M. Tanguy succédera ainsi à Christophe Guy, qui a dirigé l’établissement pendant 10 ans, de 2007 à 2017. L’actuel directeur de la recherche, de l’innovation et des affaires internationales, François Bertrand, assume l’intérim à la direction générale de Polytechnique jusqu’à l’arrivée en poste de M. Tanguy.
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(crédit photo: Polytechnique Montréal)