Par Marc-Adrien Nières et Sylvain Bertrand, écrivains L’imprimerie nocturne
Ici à Montréal, tout va bien (Marc-Adrien Nières)
Marius : joli prénom je me dis. Joli prénom pour un nouveau-né. Je termine ton message, je regarde l’horloge : 10h10. Je suis en retard, encore. J’éteins l’ordinateur, je me lève de la chaise, j’enfile les chaussures, saisis le sac-à-dos, claque la porte derrière-moi. Marius : beau prénom je me dis.
Depuis quelques temps, mes matinées débutent par une même et curieuse rencontre.
Une araignée, a profité de la nuit pour tracer un chemin entre mon vieux vélo et la rambarde rouillée de la galerie extérieure. Une longue et élégante toile d’où l’arachnide se balance, à mesure que je m’approche. La bête n’a visiblement pas l’intention de voler mon deux-roues. Où d’intenter à ma vie. À mon tour, je décide de ne pas nuire à la sienne. À peine j’essaye de lui faire entrevoir, maladroitement sans doute, qu’une entité supérieure (en taille tout du moins), a dangereusement croisé sa route. Celle-ci pouvant faire voler sa toile d’un simple revers de main, où l’écraser complètement si la volonté lui en prend. Assoupie sur son fil, quelle menace potentielle la bestiole perçoit-elle ? Cela mon ami, Dieu seul le sait.
Je coupe le fil. Je note :
« Aussi vrai que demain je devrai retourner travailler, l’araignée cette nuit devra refaire sa toile ». La bestiole et moi nous inclinons devant la toute-puissance de l’éternel recommencement. Et nous souhaitons poliment bonne journée. Il est 10h15, je file le long de la rue De Lorimier.
Mon ami, au moment où je t’écris ces lignes nous sommes le 1er Septembre. La matinée est chaude, la semaine s’annonce caniculaire. L’avenir apprendra qu’il s’agit des dernières grosses chaleurs de l’année. Pour l’heure, le soleil cogne tandis que je descends la faible pente. Je passe sous le pont, transpirant. Au-dessus il y a une piste cyclable qui mène vers le quartier Parc Extension. Je dois rejoindre la numéro 1. Elle suit l’avenue de Maisonneuve et parcourt l’ouest de la ville. Je prends un peu de vitesse. J’espère encore arriver à l’heure. Récemment vois-tu, j’ai pris quelques motivations. L’une par exemple, consiste à parcourir les 11 km qui me séparent du travail à vélo. De cette manière, j’ai de l’avance sur le métro : peut-être trois minutes. Ce n’est pas grand-chose et je ne fais pas la route tous les jours. Mais le trajet vaut le détour.
« Surtout ne pas planter les roues dans la chaussée ».
À Montréal, l’asphalte n’a pas réputation d’être de grande qualité. Elle s’abime et se fissure. La faute aux différences de températures, les grands froids de l’hiver et les lourdes chaleurs de l’été. À la mafia aussi, enfin à ce qui se dit. Les rues de Montréal sont jalonnées de « cracs», et de « nids de poule », plaies des cyclistes, des automobilistes, et des amateurs de bitumes. Elle a son petit côté dangereux.
10h25, je suis en retard, encore. J’hésite sur le chemin à prendre. La perspective de notre correspondance me traverse l’esprit. « Que vaut-il mieux que je te raconte : la traversée du parc Wilfried Laurier, ou celle du parc Lafontaine ? » Le parc Lafontaine a le mérite d’être absolument et parfaitement sur ma route. Je m’engage sur la piste cyclable. Je suis dans le mauvais sens.
Les jours passent. Je change lentement.
La suite la semaine prochaine.
Ici à Montréal tout va bien.
Ici à Rennes, tout va bien (Sylvain Bertrand)
Je voulais te causer d’un souvenir que j’ai et dont je t’ai pas parlé. Tu dois te souvenir quand je suis parti avec mon pote faire le tour des vieux bistrots de Bretagne pour écrire un livre. Et bien je voulais partager un souvenir de ce périple avec toi… parce que ça me trotte.
C’était une nuit vraiment pas commode. Le genre de nuit dont on ne réchappe de rien. Je te dresse le tableau… Petit vent humide. Froid, très froid… pour notre sensibilité de bretons je parle… pour les cousins du grand nord, ç’aurait pas été la même histoire. Mais voilà, une nuit humide et froide. Le village au dodo. Déjà. 19h pourtant. Pas plus. Pas une seule étoile sur la voute noire. Le cimetière en face du camion. On est en plein mois de novembre. On écume les bistrots de Bretagne avec mon pote Yann… (tiens ! ça, Yann, c’est du pur, du vrai prénom breton). On est en camion. Un couple sort du cimetière, gerbe en moins dans les mains. Un petit café fulmine gentiment derrière nous, avec l’odeur de la soupe que mangent quelques vieux attablés dans une arrière-salle… la soupe et la clope… et par endroits ça sent le gravier remué. Nous, on est claqué. Fatigué des coups bus la veille et le midi-même. Et puis, bien certainement, on n’a pas dormi de plein sommeil.
Le village c’est du vrai typique. Vieilles maisons en pierres brunes. Grande place avec un hêtre au centre… la place de la foire aux chevaux… célèbre dans le coin celle-ci. Et la Sköl… l’école pardi comme on dit par ici. Vrai village breton. Et les gens qui passent qui s’empressent de rentrer dans leur bicoque, de vrais gueules de breton aussi.
On sort du camion. On a aperçu un bar plus loin, en face de l’école. Le village est resté au 19e siècle. C’est sûr. Je veux dire, dans la pierre, l’esprit et tout ça. On se croirait dans un de ces poèmes de Yann-Ber Kalloc’h, le groisillon. Groisillon, diras-tu ? De l’île de Groix. Cette île magistrale flanquée, sculptée, taillée, battue par la mer des quatre côtés… Je m’égare. Je disais alors un village comme si le temps n’était passé que dans le ciel, et nulle part ailleurs. Tu vois le genre ? Ca rend tout chose, nostalgique d’un temps pas connu, mélancolique, rêveur et tout.
On est planté devant la porte du café… « le Ch’ty Coz ». Pourquoi ce nom… ch’ti c’est le nom des gars du nord de la France. Le couple qui tient le café vient de là-bas et est venu s’installer ici. Et Coz… c’est maison en breton.
A l’intérieur ça s’anime. C’est chaleureux. On commande des bières, qu’on boit avec puis sans soif. Les gens viennent nous causer, c’est incroyable, ça taille la bavette sans retenue une fois que c’est convaincu de ta bonne foi. Et de ton honnêteté. Ouais, faut pas déconner, t’arrives comme ça, t’es dans le centre Bretagne, t’es qu’un étranger, de prime abord. Des jeunes poussent la porte. Le genre de jeunes qui nous ressemblent, je veux dire cool sur la tronche… ça se voit. On discute, on boit. Les tournées de bières, de la duvel, une vraie bonne bière du nord… ça valdingue dans la caboche… ça tourne comme c’est pas permis.
Les jeunes avec qui on cause, ont notre âge. Y a un couple qui vient de reprendre une ferme… retour à la terre. Un autre couple encore, le mec zicos dans le groupe de musique bretonne Bour Bodros Quintet, il joue du saxe… et elle, elle monte sa moutonnerie. Et puis d’autres encore, un frère, un pote, etc. La petite clique qui se connait au poil. On est accueilli comme si nous avions toujours fait partie de la bande. C’est sympa de leur part.
Ceux qu’ont repris la ferme, ont bossé toute la journée pour construire ou retaper la soue à cochon, un truc du genre. Y avait pas mal de monde à les aider. Ils avaient prévu le repas du soir pour chacun… gueuleton de remerciement. Et finalement personne ne pouvait venir. Ils sont venus au bar inviter les copains. Et pour le coup, nous aussi on est invité.
On monte dans une voiture. J’écrase ma clope. Je regarde l’école qui s’efface dans le ciel noir. Le hêtre qui s’étire. La petite brume qui commence à envahir les petites rues. Et la lumière chaude et rassurante du café qui continue sa petite danse dans la nuit.
Je te causerai de la suite la prochaine fois.
Ici à Rennes tout va bien.
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