J’aime Montréal et sa vivacité intellectuelle et communautaire; elle ondule et se dépatouille pour faire en sorte que le monde se rétrécisse et que les connections se fassent dans la plus grande convivialité. Ce soir là, je me rendais à un 5 à 7 organisé par Aurélie et « Kafrine Louisa ». Elles avaient invité Gilbert Pounia et son groupe Ziskakan accompagnés de la divine Maya Kamaty. Lieu de rendez-vous : « Bokit » au 4427 Rue Saint-Denis à Montréal.
Par JayThomas, blogueur de JAY Thomas-Notes
À peine entré dans le petit restaurant «Bokit», j’aperçois des visages familiers, façonnés dans l’argile du métissage créole. Nous nous présentons, échangeons autour de cette mobilité et sur nos activités à Montréal. Je recherche quelques Saint-Pierrois, ma ville de naissance.
En cuisine, ils s’activent et font baigner dans l’huile de délicieux samoussas, des accras de morues, des chips de pommes de terre croustillantes… J’entends encore le sifflement de ces mets savoureux. J’ai aussi découvert avec grande surprise le parcours de ces deux cuisiniers; l’un ayant vécu quelques années en Martinique et l’autre ayant séjourné pendant sept ans à l’île de la Réunion. À eux deux, ils marient la culture des Caraïbes à celle des Mascareignes. Cette soirée s’annonce déjà comme une fête et même si en aspect tout parait calme, dans l’air ils flottent un parfum des îles. À vous de faire appel à vos sens les plus fins !
Le chemin vers la Kréolité
Nous sommes une bonne trentaine amassée autour d’eux car ce soir il avait promis d’être là et de partager ce moment avec nous. Maya et le groupe Ziskakan sont installés confortablement. Les uns sur des chaises hautes, et un autre utilisant le cajon en guise de tabouret. Les festivités sont lancées ; nous croquons à pleine bouche les mets délicieux, mon favori étant le samoussa au poulet.
Gilbert Pounia pose son regard sur la foule. Il balance une petite blague et quand son regard se pose sur le tableau à craie plaqué au mur, ses yeux prennent la couleur de ses cheveux. Il cherche dans sa mémoire et ressurgit alors le souvenir de ses premiers pas en tant qu’artiste musicien. Il évoque cette époque où exprimer son talent artistique et sa musicalité créole était difficile. Nous avons effectivement le pouvoir d’écrire en créole aujourd’hui. Nous prenons les mots sans pour autant les brutaliser et nous plaçons un K à place d’un C ou voir même un Z à la place d’un J. C’est cela la puissance du langage réunionnais. Comme le précise Daniel Waro : « Nout pays i coz en zé ».
Le leader de Ziskakan est là pour en témoigner. Il voit la langue créole comme une langue dynamique, qui sonne à toutes les oreilles et qui touchent les cœurs. Dans les petites salles des fêtes de Saint-Denis, il se souvient des marmailles « Zarabes », ceux-là même qui prenaient les affiches et les collaient à l’aide d’une pâte artisanale faite de riz. C’était le bon temps et quand un commerçant de la ville trouvait une affiche collait près de sa porte, venait alors le temps des petites colères. Le chemin a été long, comme un combat sans fin, et pour pouvoir jouer dans une salle réservée à la musique d’ailleurs, il fallait aussi se démener et déployer de l’énergie.
Je vois en Gilbert Pounia , une énergie douce et puissante car elle est maitrisée. Les mots sont pesés et il se souvient de 1981; le groupe Ziskakan était allé aux Seychelles pour s’investir dans des conférences autour de la langue créole. À cette même date le créole devenait une langue officielle dans cet archipel.
La mobilité, à quel prix ?
Quelle chance d’avoir vu de ses propres yeux le créole évoluait et quand on parle d’évolution, on évoque aussi la grande mobilité des années 60.
Le groupe Ziskakan et Gilbert en parlent. Gilbert témoigne non plus en tant que musicien mais en tant qu’éducateur; il se rappelle de son passage à Lyon et de l’aide qu’il a fournie à de nombreux réunionnais partis chercher un emploi. Nous avons aussi ri aux éclats quand il évoque une motivation drôle à l’île de la Réunion. Pourquoi un jeune homme partirait dans les années 60 vers « momon patrie » – La mère patrie ? La fortune ? Un meilleur travail ? Une ouverture culturelle ? Ou tout simplement l’envie de gouter à l’exotisme de la femme blanche ?
C’était dans la mentalité de l’époque mais les temps changent. L’homme créole épris de modernité aime la vie sans se préjuger. Dans cette soirée, un jeune homme, marié à une Mexicaine, nous parle du bien que cela peut faire d’être avec sa communauté et surtout de faire découvrir une culture si rare et si éloignée en distance du Mexique ou du Canada, terre commune à ce couple.
Cette mobilité nous l’avons choisie et Gilbert Pounia se souvient de certains partis en exode sans grande structure d’accueil pour préparer le retour à la source. Il se souvient d’un jeune homme qui dans son désir d’évoluer professionnellement à la Réunion est revenu sur notre île sans réelle possibilité de trouver un emploi. J’évoque là la perte de repères et le dynamisme faible de la Réunion. Gilbert ! Je témoigne car moi aussi je suis rentré m’installer et chercher un emploi à la hauteur de mes compétences. Que diable – ai je fais ? J’ai pendant mes débuts peiné à décrocher des entretiens. Les recruteurs me disaient souvent que je suis trop qualifié ou parfois pas assez. Foutaise ! Aujourd’hui je suis bel et bien à Montréal, là où une chance est donnée en fonction des motivations. Tout s’apprend dans la vie.
Plus la petite aiguille de ma montre trotte vers le nord – le 12 – plus nous parlons de notre île et de ceux qui reste à faire. Je partage l’avis général et la grande question soulevée lors de ce 5 à 7 : quelle est la vraie position du politicien réunionnais ?
Ils s’apparentent tous à des César cherchant un contrôle parfait de leur univers sans pour autant se préoccuper du peuple. Le peuple a faim, qu’il mange ? Le peuple veut travailler, qu’il travaille ? Oui mais le politiciens devraient aujourd’hui jeter un oeil sur cette diaspora réunionnaise qui forcément signera son retour. Ont-ils prévu de travailler à cela et d’amener des structures plus solides ? Ont-ils pensé à développer une économie en lien avec les compétences des jeunes partis ? Que font-ils aujourd’hui ?
Je ne vois pas la cohérence politique entre l’action prise et l’action vendue ! À titre d’exemple, une route du littoral sur mer est en cours de construction, hors, notre île est inscrite au patrimoine Mondiale de l’Unesco. Cherchons une cohésion et protégeons notre nature. Cette route pousse une économie qui malheureusement est loin d’être pérenne car l’entrepreneur à la fin de son mandat mettra surement la clé sur la porte. Telle est notre réalité.
Nous sommes pourtant à des milliers de kilomètres de notre île mais nous songeons à demain et c’est au travers de ce type de 5 à 7 qu’une parole nous est donnée.
Le créole nouvellement solidaire
Nous évoquons aussi notre appréhension du monde et le communautarisme. Ici à Montréal, nous voulons faire changer les choses car trop de fois nous avons constaté le manque de solidarité au sein de la communauté créole. A-t-on honte d’être ce que nous sommes ? J’ai déjà pris le métro Parisien et parfois lorsque je parle créole avec mes amis, certains passants aux visages des îles m’observent. Je sais parfaitement qu’ils me comprennent mais chose plus étrange, ils ignorent cet appel du cœur. Je ne suis pas le seul à avoir vécu cela. Ai-je d’ailleurs déjà négligé la présence d’un confrère ? Durant cette soirée nous voyons qu’il y a un malaise lié à ce mot fort : la solidarité créole. Cette solidarité s’applique aussi à un artiste venu en représentation à Paris ou à Montréal. Donnons-nous la chance de ne rien regretter. L’artiste Réunionnais mérite aussi de connaitre le plateau de Michel Drucker ou les interviews dans le magazine inRocks. Le Maloya, notre musique, notre racine, mérite sa place au panthéon des musiques du monde. Elle est l’héritage de cet esclavagisme.
Soit on joue, soit on meurt !
Pour conclure sur ce 5 à 7, Ziskakan nous offre un « ti boeuf » bien épicé. Sa musique sonne comme un hommage aux peuples de la terre. Il nous a d’ailleurs fait part de son écriture encore plus vivante car il apprivoise la sauvagerie des mots. Il caresse le trésor littéraire du monde et inclus à titre d’exemple des mots Malgaches ou Hindis dans ses textes.
Maya fait les chœurs, son fils fait sonner le triangle, Daniel prend la guitare pour donner du piquant et un autre fait raisonner le Cajon. Gilbert, lui, tient bien en main sa guitare bardée d’étiquettes dont l’une indique « Soit on joue, soit on meurt » et bien rendons cette soirée encore plus vivante ! Tout est généreux dans cette musique qu’il joue durant une vingtaine de minutes. Elle réveille en nous les rêves de notre culture métissée. Nous redemandons encore plus de titres au groupe Ziskakan. Nous abreuvons notre soif musicale.
Le patron du « Bokit » rend les choses plus concrètes et nous offre un shot de rhum. Cela nous préparera pour l’hiver. Je peux dire que cette soirée se termine en beauté : Nous prenons de nombreuses photos de groupe. Un tirage au sort est organisé. J’ai d’ailleurs remporté l’album de Maya Kamaty que je vais écouter avec la plus grande attention. Je livre mes derniers mots de ce post. J’ai adoré ce moment si unique car solidaire et ancré dans le savoir. Je remercie toutes les personnes ayant participé à cette soirée. Il s’agit d’une belle réussite. J’espère en voir d’autres. Nous avons du talent et ici à Montréal, nous donnons une forme nouvelle au mot Kréolité et à la musique. Amenons la kréolité à rayonner solidairement dans le monde et dans nos cœurs.
Merci à toute l’équipe de Ziskakan.
Allon met ensemble po la Réunion d’aujourd’hui, d’ici ou d’ailleurs.