De passage à Montréal, le cinéaste franco-belge Guillaume Senez est venu présenter cette semaine son deuxième long-métrage, Nos batailles, dans le cadre du festival Cinémania, qui prend fin ce dimanche. Poursuivant la réflexion sur la paternité amorcée dans son premier film, Keeper, Senez dresse avec une justesse et une sensibilité remarquables le portrait d’un homme qui, confronté au départ inattendu de sa femme, doit réapprendre son rôle de père sur fond de drame familial tendu. L’Outarde libérée a rencontré Guillaume Senez afin d’en savoir plus sur sa démarche.
Par Sandrine Bourque, rédactrice en chef adjointe
À mi-chemin entre le drame familial et la chronique sociale, Nos batailles nous plonge dans le quotidien d’Olivier Vallet (Romain Duris), un syndicaliste qui lutte contre les injustices subies par les employés au sein de son entreprise. Mais ce combat éreintant l’empêche de voir la détresse de sa compagne, Laura (Lucie Debay), qui le quitte du jour au lendemain, le laissant seul avec ses deux jeunes enfants. Traversé par la colère et l’incompréhension – mais aussi, progressivement, par l’empathie et la résilience –, Olivier est alors confronté à une autre bataille : celle de trouver l’équilibre entre ses responsabilités professionnelles et son rôle de père.
Avec ce second long-métrage, salué par la critique en France et à l’étranger, Guillaume Senez a voulu poursuivre la réflexion sur la paternité qu’il avait entamée avec son premier film, Keeper, sorti en France en 2016. « J’avais le sentiment de ne pas avoir fait complètement le tour de la question, admet le cinéaste. Alors que Keeper portait sur la puissance de la paternité, je voulais que Nos batailles aborde plutôt l’aspect ‘‘responsabilité’’ qui vient avec le rôle de père. »
C’est suite à sa séparation d’avec sa compagne que Guillaume Senez a commencé à se questionner sur la conciliation entre vie professionnelle et responsabilité parentale. « Cet équilibre que cherche à construire Olivier tout au long du film, j’aurais eu beaucoup de mal à l’atteindre moi-même en tant que cinéaste indépendant », confie-t-il. « Autour de moi, je vois tellement de couples où les deux parents travaillent, où les fins de mois sont difficiles. Que se passe-t-il alors si l’un des deux quitte le navire ? En fait, c’est tout le château de cartes qui s’effondre », croit Senez.
Un angle féministe
À travers cette réflexion sur la paternité, le rôle des femmes au sein de la famille est lui aussi abordé. Car il s’agit bien d’une femme qui laisse son mari et ses enfants, une décision qui provoque des réactions ambivalentes dans l’entourage d’Olivier. « Il y a quelque chose de très tabou, encore aujourd’hui en 2018, avec le fait qu’une femme abandonne ses enfants », croit Guillaume Senez. C’est d’ailleurs ce qui lui a donné encore plus envie d’en parler. « Avec ma coscénariste, explique-t-il, nous avons voulu traiter de cette question à travers un angle féministe, c’est-à-dire que nous avons fait le choix de parler d’une femme qui quitte sa famille sans jamais la condamner ni la juger pour ce départ. »
Dépassé par les évènements, c’est aussi grâce au soutien de figures féminines qu’Olivier parvient à grandir dans cette épreuve. « De façon presque inconsciente, Olivier essaie de retrouver cette dualité perdue avec sa femme Laura en cherchant une présence auprès de sa sœur, de sa mère, de sa collègue », soutient Guillaume Senez. Chacune d’elles contribue à reconstituer, morceau par
morceau, les raisons qui ont conduit sa femme au départ. « D’une certaine façon, toutes ces femmes le font évoluer, le font grandir, avance-t-il. Elles mettent le doigt sur le schéma un peu patriarcal qui s’est institué au sein de sa famille, un modèle qui ne fonctionne plus pour Laura. »
Un drame à saveur sociale
Au-delà de la dimension personnelle du drame vécu par la famille Vallet, ce sont les travers de toute une société qui apparaissent en filigrane dans Nos batailles. Un choix assumé par Guillaume Senez, qui a voulu mettre en lumière la répercussion de plus en plus forte du travail sur la sphère intime et familiale. « Le fait qu’Olivier travaille dans un entrepôt de commerce électronique de type Amazon n’est évidemment pas anodin. On se retrouve tout au long du film dans une sorte de capitalisme 2.0, dans une ubérisation de la société qui gangrène notre vie intime à tous. »
Si les spectateurs se reconnaissent dans ce portrait, croit Guillaume Senez, « c’est parce que les horaires de plus en plus dingues, les contrats précaires et le temps supplémentaire, ça fait partie de leur quotidien ». Pour autant, le cinéaste se dit mal à l’aise avec l’étiquette du film social, un genre qu’il juge parfois trop frontal. « Faire un film, c’est toujours un acte politique, reconnaît-il. Cela dit, je ne suis pas là pour prendre le spectateur par la main ni pour lui dire comment juger la situation. Je suis d’abord là pour transmettre une émotion. »
Préférant « ne pas amener les choses de façon trop directive », mais plutôt « jouer sur le ressenti », Guillaume Senez est d’avis que Nos batailles porte un regard libre d’interprétation plus qu’un message quelconque. « Nous sommes tous différents, nous avons des personnalités, un vécu, une sensibilité différents. Si le spectateur arrive à ressentir de l’empathie pour les différents personnages, à se questionner sur ce qui le touche, ce qui lui parle, ce qui l’émeut dans cette situation, alors je pense que cette réflexion sera beaucoup plus profonde. J’aime cette idée que le spectateur puisse trouver son propre cheminement à travers le film. »
La critique du film: « Nos batailles », un film intimiste qui pose de vraies questions mais…