crédit photo : Laurent Sensemat
Jean-Claude Sensemat, entrepreneur et auteur français installé au Québec en 2007, annonçait hier la sortie de son cinquième ouvrage au titre provocateur : France quand tu trahis. À travers son histoire personnelle, il règle ses comptes avec son pays, et livre le “témoignage économique” d’une vie qui l’a mené de la campagne française jusqu’aux gratte-ciel du downtown montréalais.
Comme il le reconnaît lui-même, raconter le parcours de Jean-Claude Sensemat prendrait de longues heures tant cet homme mène de vies à la fois. Cette citation extraite de son dernier livre résume cependant assez bien le personnage et son propos : “En Amérique, j’aurais été une idole! En France, chez moi, on m’a détesté.”
Jean-Claude Sensemat est un self-made-man made in Gascogne. “Je suis parti de rien, et j’ai pu construire un groupe dans le domaine de l’outillage grand public, qui en 30 ans est devenu leader en France, et dans 70 pays à travers le monde. Je suis également le propriétaire de la marque d’horlogerie LIP”, raconte-t-il, non sans fierté, de son bel accent du sud-ouest. Un jour contre toutes attentes, le vent tourne pour l’homme d’affaires. Des problèmes de trésorerie dans une de ses filiales l’amènent à déposer le bilan en 2000.
France quand tu trahis retrace, avec plusieurs aller-retour dans le temps et l’espace, ce qui a poussé cet entrepreneur dégoûté à quitter son pays. L’auteur qualifie son ouvrage de témoignage économique. “Je fais ça pour servir, explique-t-il, il m’est arrivé de belles choses dans ma vie, la France m’a permis de me développer, mais il y a eu quelques manquements de la part des institutions qui m’ont fait perdre des choses, et ces évènements qui me sont arrivés à moi peuvent arriver à d’autres.” Le récit ressemble parfois à un polar juridico-financier. Intimidations, écoutes, trahisons, mensonges, copinages, jeu de pouvoir, bling-bling, et jalousie, tout y est. Mais, derrière la vindicte, ce qu’on retient surtout c’est la vision d’expatrié que Jean-Claude Sensemat propose des modèles français et québécois.
“En France, comme je l’ai déjà dit dans une précédente interview, on peut réussir si on est socialiste. (…) Qui va vouloir entreprendre dans ce pays dans la mesure où vous risquez votre épargne et qu’on vous traite de salaud en permanence?”, interroge frondeur, celui qui s’affichait en photo avec Nicolas Sarkozy lors de sa conférence à la Chambre de Commerce de Montréal, en avril dernier. Comme tout immigré, il compare dans son livre ses deux expériences. “En Amérique du nord, dit-il, l’entrepreneur est quelqu’un de reconnu parce que les Nord-Américains connaissent la valeur de l’argent. Au Québec une piasse c’est une piasse.”
Le discours de l’homme d’affaires n’est pas neutre, mais il n’est pas que politique, encore moins radicalement néolibéral. Jean-Claude Sensemat se pose en produit de la méritocratie : “Je dois mes succès à moi même, à une époque, à un environnement qui s’est ensuite retourné contre moi, et les institutions de la France ne m’ont pas assisté.” Selon lui, c’est la mentalité française qui place aujourd’hui le pays en situation d’échec. “C’est le problème de notre devise Liberté, Égalité, Fraternité. Le peuple confond l’égalité avec quelque chose d’égal : il a une belle voiture, je dois en avoir une. C’est cet égalitarisme qui trompe le peuple. Pour avoir accès à quelque chose, il faut se l’octroyer en travaillant”, avance-t-il.
Jean-Claude Sensemat ne s’en cache pas, il a de l’argent. Le raffinement de son lancement sous les verrières du Holiday Inn de la rue Sherbrooke en atteste. Il se défend néanmoins de faire partie de cette catégorie de patrons montrés du doigt comme des exilés fiscaux : “J’ai des affaires en France, je paie en France tout comme je paie des impôts ici”. Aujourd’hui, l’entrepreneur ne voit pas sa vie ailleurs qu’à Montréal.
“Je veux rester ici, je ne fais pas partie de ces Français qui viennent un temps et repartent. Quand j’ai fermé la porte de mon appartement à Toulouse, c’était pour partir définitivement”, précise-t-il. Aux côtés de son épouse Martine, il continue à développer la société de gestion d’actifs et de conseil, créée dès son arrivée au Canada en 2007.
Il faut reconnaître à Jean-Claude Sensemat sa capacité incroyable à rebondir et à vivre avec son temps. Son American Dream, il a voulu le construire en France, et c’est finalement à l’heure où personne n’ose plus y croire qu’il le poursuit au Québec. À 62 ans, et loin du pessimisme actuel qui semble ronger les Français, il regarde encore et toujours devant lui avec la même ambition dévorante qu’à ses 20 ans. “On n’est pas obligé d’avoir de l’argent pour réussir, même aujourd’hui. Ce qu’il faut, ce sont des idées et des concours de circonstances, mais le plus important, c’est l’idée”, conclut-il.
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France quand tu trahis : poussé à l’exil
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