En visite à Montréal dans le cadre du festival CinéMania qui se tenait du 5 au 15 novembre, Julie Gayet était au cœur d’une rétrospective mettant en avant les multiples facettes de son talent, de comédienne comme tout le monde le sait, mais aussi de productrice et plus récemment, de réalisatrice. Récit d’une rencontre…
Par Rozenn Nicolle
C’est au Sofitel, en plein centre de Montréal, que l’on m’avait donné rendez-vous. « Tu verras, elle est adorable », me dit-on. Avec tout le respect que je dois à mes nombreux camarades du monde médiatique, on nous apprend, dès les premiers cours de journalisme, à nous méfier des paroles de communicants. Et pourtant… Avec quelques minutes de retard, « mon rendez-vous » sort du salon Opéra où elle enchaîne les entrevues. « Toutes mes excuses, me dit-elle. Je prends juste un café et je suis à vous. Vous voulez quelque chose ? ». Au Québec, l’on est habitué à cette politesse et cette courtoisie. Venant d’une célébrité française du monde du cinéma et, qui plus est, connue pour sa relation avec le président de la République, on est facilement surpris. Agréablement, bien-sûr.
« Aucune question sur sa vie personnelle », m’indique l’attachée de presse. On s’en doutait. En même temps, ce n’est pas vraiment mon sujet. Aujourd’hui, nous sommes là pour parler « culture ». De passage à Montréal dans le cadre du festival CinéMania, vivier promotionnel du cinéma français au Québec, Julie Gayet m’accueille en toute simplicité dans cette petite suite, au deuxième étage du célèbre hôtel. Deux chaises, une petite table, le tout face à la baie vitrée, comme une façon d’ignorer le monde derrière. On s’installe.
Je commence mon entrevue en lui parlant du Québec et de Montréal. « Je viens régulièrement », me dit-elle, après m’avoir rappelé les différents films qu’elle est venue promouvoir ici, comme la turbulence des fluides, sorti en 2002 et réalisé par la Québécoise Manon Briand, ou encore le film Huit fois debout, sorti en 2010. De ses dernières visites, l’actrice se souvient de « l’exposition magnifique » sur le peintre allemand Otto Dix, au Musée des Beaux Arts, ou encore son expérience de deux jours au célèbre festival de musique Osheaga, qu’elle a « adoré ».
La production, « l’endroit ou je m’épanouis »Quand on lui demande les différences entre le Québec et la France, Julie Gayet hésite. « C’est hyper caricatural de dire ça, mais j’ai l’impression de travailler avec une équipe américaine mais pas complètement américaine, mais pas française non plus », me dit-elle. Avec ses amis et collègues producteurs québécois, elle dit penser faire le même métier de la même façon, mais remarque tout de même une différence sur les plateaux qui relève plus de la culture : l’heure du repas. « Ici vous avez tous vos lunch-box, vous mangez plus dans votre coin. Nous, on mange tous ensemble, il y a du vin à table ! » s’amuse-t’elle.
C’est presque des vacances quand on m’appelle pour me proposer un rôle
Honorée durant tout le festival, Julie Gayet a pu faire découvrir et redécouvrir différentes facettes de sa carrière cinématographique. Plusieurs films dans lesquels elle a joué ont été projetés, et la série Dix pour cent, dans laquelle elle joue son propre rôle a été présentée pour la première fois au Canada. Mais si son travail de comédienne l’a fait connaître depuis les années 90, c’est la production que Julie Gayet privilégie aujourd’hui et depuis les années 2000 : « Je joue depuis toujours et j’adore ça, c’est presque des vacances quand on m’appelle pour me proposer un rôle, on s’occupe de nous toute la journée, on a cette sorte de liberté où on ne réfléchit pas, les autres s’occupent de tout. En tant que productrice, c’est l’inverse, c’est moi qui prends soin de tout le monde, il faut trouver les financements, il faut porter les films, il faut aider les réalisateurs, et c’est vraiment l’endroit, aujourd’hui, où je me sens le plus à ma place, où je m’épanouis. Et c’est ce que je fais 90% de mon temps. ». Lors du festival, Julie Gayet a notamment présenté le film Taulardes qu’elle a produit, et qui porte sur l’univers carcéral féminin, avec une surprenante Sophie Marceau et l’étoile du cinéma québécois Suzanne Clément dans les personnages principaux. « Elle a apporté tellement de chose au rôle » me confie-t’elle à propos de cette dernière. « Personne n’aurait pu faire ce qu’elle a réussi à faire ».
Réalisation et questions de genresPar ailleurs, le festival a également projeté en première nord-américaine les documentaires « Cinéastes » 1 et 2, qui marquent les premiers pas de Julie Gayet à la réalisation. « C’est un clin d’œil, un plaisir, dans le vrai joli sens d’amateur, c’est-à-dire le plaisir de faire ça, nous, à côté, et de mettre en lumière les artistes qui font les films », raconte-t-elle. Avec son compère l’acteur et réalisateur Mathieu Busson, et sur une commande de Ciné+ qui souhaitait poser la question « Le cinéma a-t-il un sexe ? », elle a pris une petite caméra et s’est penchée sur l’importance du genre dans les réalisations cinématographiques en interviewant des femmes, dans le premier volet, puis les hommes, dans le second.
« J’ai surtout voulu m’interroger sur : pourquoi, en France, on n’a que 27% des réalisateurs qui sont des femmes, sachant en même temps que c’est le plus haut taux au monde », m’explique la cinéaste. Donner la parole à celles et ceux qui font ce métier en France, c’est un peu cela le principe. Les témoignages sont éloquents et mettent en perspective les difficultés rencontrées lorsqu’une femme veut réaliser un film de genre ou des films de science-fiction, d’action ou des westerns, sur lesquels les hommes possèdent un quasi-monopole, ou encore pour obtenir un budget conséquent sur une grosse production. « Ce qui m’interpelle, c’est de me dire que si on veut, on devrait pouvoir le faire », commente Julie Gayet. Mais si les témoignages féminins font écho à ce qui a déjà été dénoncé par le passé, ceux des hommes se révèlent presque plus surprenants selon la réalisatrice. « Les hommes ont changé », lui a soufflé un spectateur après la projection du second opus. « Les cinéastes sont le reflet de la société, ils perçoivent l’air du temps », me glisse-t-elle.
« Féministe par essence »Difficile, avec ces questions de genres, de ne pas aborder le féminisme. Je demande donc son positionnement à mon interlocutrice sur cette question-là : « au-delà du féminisme, me dit-elle, à partir du moment où on est une femme, on a la responsabilité de la représentation. Je suis féministe par essence puisque je suis une femme et que je suis un modèle pour les petites filles ». Elle me parle ensuite de l’auteure Nancy Houston, dont nous prenons le temps de vérifier la nationalité canadienne sur mon smartphone, puis de conclure sur la prise de conscience de la nature innée du féminisme grâce au documentaire, qui, me précise-telle humblement, ne prétend pas répondre à la question mais présenter des nuances et des différents points de vue. Un troisième et dernier volet « International » est actuellement en production et mettra en perspective les visions des cinéastes étrangers sur ce même thème du genre dans le cinéma.
C’est ça pour moi le Québec
Le temps imparti pour cette entrevue arrivant à sa fin, je me décide à conclure en abordant l’importance de la participation aux festivals comme CinéMania. « Ce qui est formidable avec CinéMania, c’est que c’est un festival qui a été lancé dans une salle de musée d’art contemporain, qu’il ait été porté par une femme anglophone qui se bat pour le cinéma francophone, et qu’il soit devenu aussi important », raconte Mme Gayet. « C’est complètement fou ! », s’exclame-t-elle. Puis de conclure dans un sourire : « c’est ça pour moi le Québec ».
Touchée par cet hommage, touchante dans sa reconnaissance, c’est sur cette note que notre entretien s’achève. Ne reste que la photo. Nous nous levons, continuons notre conversation tout en nous dirigeant en dehors du salon, afin d’aller chercher la lumière naturelle des espaces vitrés longeant l’escalier blanc du Sofitel. On croise Mathieu Busson, ils discutent, j’enclenche mon obturateur une cinquantaine de fois. Mon modèle pose avec un naturel déconcertant. J’aime les acteurs pour la facilité qu’ils ont avec cet exercice. La fatigue se fait sentir mais la douceur du personnage perce davantage. Je fais vite. Nous nous remercions mutuellement pour ce moment, puis je repars, satisfaite de ce bel échange. Le lendemain sera le 13 novembre.
(crédit photo : Rozenn Nicolle)
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Joli reportage, bravo ! Papa (sans aucun parti-pris !)
J’approuve aussi ! nathalie
C’est avec ravissement que je decouvre l’interview que tu as réalisé avec Julie Gayet
Un grand bravo pour cet article et la superbe photo » romantique » Une douceur dans cette période de folie .
Continue et tiens moi informé
Gros bisous
Jack