Par Rozenn Nicolle, journaliste
Allier différents arts martiaux, combat debout et combat au sol, le tout dans une cage octogonale, c’est le principe des MMA, Mixed Martial Arts, qui séduisent un public toujours plus grand autant qu’il fait grincer des dents les législateurs français. Au Québec, les compétitions de « Free Fight » sont tolérées depuis longtemps et autorisées par la loi depuis 2013. Retour sur ce phénomène sportif qui fait polémique et rencontre avec Thomas Sumantri, jeune expatrié français devenu professionnel de la discipline dans la Belle Province.
Dans la salle d’entraînement de Fighter Dream MMA, en plein centre-ville de Montréal, la sueur coule à flot. Si l’ambiance familiale est indéniable, elle n’enlève en rien la rigueur et la discipline des combattants qui viennent s’y entraîner plusieurs fois par semaine, encadrés par le charismatique Ricardo Raphaël, fondateur du club. L’un d’entre eux est français, il s’appelle Thomas Sumantri.
Nul doute que si l’adage de Juvénal « un esprit sain dans un corps sain » se cherchait une égérie, Thomas Sumantri ferait figure de favori. Étudiant à l’école polytechnique de Montréal en ingénierie mécanique, tout en poursuivant sa jeune carrière professionnelle dans les arts martiaux mixtes, Thomas aime l’idée de bousculer un tant soit peu les clichés du boxeur stupide ou de l’intellectuel dénué de toute qualité sportive. Reste à gérer l’emploi du temps : « pas si compliqué » selon lui, une simple question d’assiduité.
Adepte des arts martiaux depuis son plus jeune âge, c’est à l’école du karaté que Thomas s’est d’abord formé. Déjà en France, il avait entendu parler des fameux « MMA », sans pour autant pouvoir pratiquer, mais il y a quatre ans, lorsque sa famille vient s’installer à Montréal, la curiosité et l’intérêt pour ce mélange de sports de combat l’amène à venir cogner à la porte de Ricardo, qu’il suivra lorsque celui-ci ouvrira son propre club deux ans plus tard.
Voir le vidéo-reportage sur Thomas Sumantri au bas de cet article
MMA : Qu’est-ce que c’est ?
Les Mixed Martial Arts, communément appelés par leur acronyme « MMA », ou encore arts martiaux mixtes (AMM) au Québec, ou même Free Fight en France, trouvent leurs origines dans le pancrace, discipline olympienne de la Grèce antique mélangeant boxe et lutte, et dans le Vale Tudo brésilien, ancêtre du combat libre moderne. Alliant les techniques de projection, de percussion et de soumission, ce sport de combat est à la croisée de tous les autres. Poings, pieds, genoux, combat au sol ou debout, les combattants ont carte blanche pour dominer leur adversaire dans la cage octogonale qui leur sert de terrain de jeu.
Une première version des MMA que l’on connaît aujourd’hui est apparue en 1993 avec la création de la première ligue officielle : l’UFC (Ultimate Fight Championship). À l’époque la réglementation était presque inexistante, permettant même lors du troisième tournoi UFC-3 un combattant sumo de 273 kg d ‘affronter un karatéka de 91kg. Très vite des opposants au sport se sont manifestés, mettant en cause des pratiques « barbares » et « sauvages ».
Il faudra attendre la fin des années 90 et l’adoption des règles de Commission Athlétique de l’État du New Jersey par l’UFC pour voir certaines règles se mettre en place : limitation du temps, sanctions, port de gants et catégories de poids. Depuis, les règles continuent d’évoluer. On en compte désormais entre 20 et 30 selon les ligues (voir celles de l’UFC). La toute récente fédération internationale de MMA, dirigée depuis presque un an par le français Bertrand Amoussou, les a recensées ici.
Engouement planétaire
Aujourd’hui, les arts martiaux mixtes font pâlir les autres sports de combat par la croissance éclaire et constante du public qu’ils attirent. Sur les systèmes de vidéo à la demande (Pay-per-view), les combats de MMA n’ont rien à envier aux combats de boxe légendaires. Avec ses 1.6 millions d’achats lors de l’UFC-100 du 11 juillet 2009, la ligue a battu un nouveau record.
La ligue concurrente de l’UFC (avant son rachat), la Pride Fighting Championship avait réussi l’exploit de rassembler 90.000 spectateurs pour son Pride Shockwave/Dynamite au National Stadium de Tokyo le 28 août 2002, record tous continents et toutes ligues confondus pour une compétition de Free Fight. Le 30 avril 2011 voyait le Centre Rogers de Toronto battre le record d’affluence pour un match de MMA en Amérique du Nord avec ses 55.724 spectateurs venus jusqu’en Ontario voir l’événement UFC-129.
Combattants tenus de tenir des comptes twitter pour lesquels ils touchent des primes, marketing agressif, promotion des événements tombant dans le sensationnel et les promesses de bains de sang, l’image en prend un coup au nom du portefeuille. Mais ça fonctionne. Les frères Fertitta qui avaient acheté la ligue UFC pour 2 millions de dollars en 2001, ont su comment rendre sa popularité aux arts martiaux mixtes. Moins de 10 ans plus tard, l’Ultimate Fight Championship est estimé à plus de 2 milliards de dollars.
Législation inégale
Ce qui permet à Thomas d’aller pratiquer son art avec un adversaire dans une cage à huit côtés devant un public déchaîné, c’est qu’au Québec, comme dans un peu plus d’une douzaine de pays, les compétitions sont légales. Depuis une quinzaine d’années, les combats étaient tolérés, même si au départ le Québec utilisait beaucoup ses réserves indiennes (qui tombent sous une législation particulière) pour organiser ce genre d’événements . Dans les faits, la loi 83 du code criminel canadien rendait coupable toute personne participant, promouvant ou assistant à un combat concerté. Ce n’est que le 19 juin 2013 que le « Bill S-209 » permettra un amendement excluant :
» les matchs de boxe ou d’arts martiaux mixtes tenus dans une province avec la permission ou sous l’autorité d’une commission athlétique ou d’un organisme semblable établi par la législature de la province, ou sous son autorité, pour la régie du sport dans la province. »
En somme, c’est à la province que revient la décision d’accepter ou non une fédération professionnelle. Avec un québécois super star de MMA, Georges St-Pierre, et une fédération active, le Québec est parmi les provinces canadiennes les plus enthousiastes pour la discipline.
En France, c’est une autre affaire. Bien qu’ayant une côte de popularité croissante, des clubs toujours plus remplis et des représentants importants de la discipline comme Bertrand Amoussou, ou même le dernier combattant français à l’UFC Francis Carmont (tout juste éjecté de la ligue ce 17 septembre), le gouvernement reste inflexible. En vertu d’une recommandation du Conseil de l’Europe de 1999 estimant que « la violence et les actes barbares et sauvages commis au nom du sport sont dénués de valeur sociale » le Free Fight reste interdit dans l’Hexagone. En 2006, c’est même le CSA qui bannit le sport des chaînes françaises. Seule RTL9, qui diffuse depuis le Luxembourg, émet encore des matchs de l’UFC dans son programme du dimanche soir. Il y a peu, l’ancienne ministre des sports Valérie Fourneyron voulait même rendre toute pratique condamnable.
Ce qui dérange le plus ? Le combat au sol, bien que les adeptes du sport pourraient expliquer que le recul étant faible, la frappe tout autant. La cage également, que les détracteurs des MMA jugent à la limite du bestial, ce que les autres considèrent comme un gage de sécurité. L’utilisation des coudes et la violence des coups sont aussi en cause, un argument peu défendable selon les combattants, citant la boxe thaïlandaise comme aussi violente, que la Suède a choisi d’interdire alors qu’elle autorise les compétitions de MMA.
Une « question de temps » selon Ricardo Raphaël
À l’opposé des positions du gouvernement, le mouvement pro-MMA se développe. Une pétition a été lancée, et une commission nationale rattachée à la fédération internationale prend son rôle de promotion très au sérieux.
À Montréal, le fondateur de Fighter Dream MMA Ricardo Raphaël se veut rassurant sur l’avenir de sa discipline en France. « Au niveau gouvernemental ça prend souvent du temps pour que les gens comprennent le sport. […] Maintenant il y a des règlements qui protègent les combattants […] Je crois que c’est une question de temps avant que ce soit légaliser en France » affirme-t’il.
Thomas, lui, dénonce un manque de connaissance du public et une mauvaise réputation injuste pour cet art martial qui rassemble, certes, les techniques, mais également les valeurs, de tous les autres.
Vidéo-reportage sur Thomas Sumantri
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