La semaine dernière, Benjamin Boutin a lancé Francophonies sans frontières, une association qui a pour mission de favoriser la mobilité, les échanges et le co-développement au sein de la francophonie. Le jeune Président avait invité Louise Beaudoin, ancienne ministre québécoise des relations internationales et de la francophonie, au cercle France-Amériques au cœur de la capitale française, pour une conférence sur les enjeux pour l’avenir de la francophonie et la relève dans les relations franco-québécoises. L’ancien Québécois, aujourd’hui Parisien, s’est confié à notre micro.
Entrevue recueillie par Romain Lambic, à Paris
L’Outarde Libérée: Pouvez-vous me parler de votre parcours, de votre relation avec le Québec ?
Benjamin Boutin: Je suis allé plusieurs fois au Québec en tant que touriste, puis en 2014, j’ai eu l’opportunité d’effectuer une mission à l’Assemblée nationale du Québec, grâce au Comité d’action politique franco-québécois. Cet organisme permet à des gens qui sont impliqués politiquement de mieux connaître le système parlementaire québécois.
J’ai ensuite intégré L’ENAP, l’École nationale d’administration publique basée à Québec, où j’ai été élu étudiant en parallèle de ma maîtrise, ce qui m’a permis de m’insérer dans le tissu social Québécois. Là-bas, les élus étudiants ont plus de moyens, cela m’a permis notamment d’organiser un premier colloque sur l’avenir de la francophonie en 2016, ainsi qu’un forum sur l’économie sociale. J’ai également organisé, pour les étudiants en maîtrise et en doctorat, un voyage d’études à New-York, à l’ONU et auprès des institutions internationales. Mon rapport avec le Québec s’est enrichi par une mission à Radio-Canada où j’ai pu travailler auprès d’Anne-Marie Dussault et de Gérald Filion, dans des émissions d’affaires publiques et d’économie. J’ai ensuite notamment collaboré avec le forum économique des Amériques.
L’OL: Quelle relation entretient le Québec avec les jeunes ?
BB: Je trouve que le Québec donne une grande place et des moyens à sa jeunesse. Je connais par exemple Catherine Fournier, une jeune femme politique qui a été élue à l’Assemblée nationale du Québec à seulement 24 ans. Cela peut être une source d’inspiration pour la France, pour donner des moyens à la jeunesse, de faire participer des jeunes à des conseils d’administration, faire en sorte que les associations étudiantes aient davantage d’outils et de moyens pour animer la vie universitaire.
Cela m’a amené à nouer des relations avec des jeunes qui s’intéressent à la relation France-Québec et qui en seront demain, je pense, les chefs de file, dans tous les pans de la société ainsi que dans les partis politiques. L’idée de cette conférence sur les relations franco-québécoises était de faire venir ces jeunes-là, de les sensibiliser avec une cheville ouvrière de cette relation qu’est Louise Beaudoin, qui a œuvré avec beaucoup d’ardeur et de passion pour cette relation, de leur donner la motivation et les clés pour poursuivre l’avenir de ces relations.
L’OL: Quelle image ont les jeunes Québécois de la France ?
BB: Il y avait auparavant une génération qui ne jurait que par la France, notamment pour faire ses études. D’anciens premiers ministres québécois ont quasiment tous fait leurs études en France, à Paris, à Sciences-po, à la Sorbonne. Louise Beaudoin était elle-même là en mai 1968. Mais aujourd’hui, nous constatons que les Québécois regardent la France pour leurs études comme tout autre pays lambda. La mondialisation a ouvert de grands espaces et de grands marchés, nous le voyons notamment avec les BRICS. Il y a forcément un intérêt pour ces pays-là et il le faut.
Nous pensons aussi que cette perte d’intérêt est due à une considération matérielle, car étudier en France, ça peut être coûteux notamment à Paris. Un peu moins en région, dans lesquelles il y a de très bonnes universités de très bons instituts, on encourage par ailleurs les Québécois à aller à Lyon, à Grenoble, à Aix-en-Provence, à Bordeaux ou à Toulouse. C’est vrai qu’à Paris, le coût du logement est un frein pour leur venue en France, nous constatons aussi qu’il y a très peu de bourses pour les jeunes Québécois. C’est pour cela qu’il faudrait que la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui est le bras armé de l’état québécois, puisse investir dans des appartements, dans des immeubles en France qui seraient mis ensuite à disposition des étudiants québécois. Cela pourrait aider à augmenter leur nombre en France, de les faire passer de 1000 actuellement à 2000, 3000 ou 4000 étudiants. Nous avons des progrès à faire et nous avons des propositions à mettre sur la table. Ces bâtiments pourraient par exemple être situés dans les cités universitaires comme c’est le cas actuellement à la Cité internationale. C’est une question de volonté politique, s’il n’y a pas cette volonté rien ne se fera. Néanmoins, nous considérons que nous avons une relation spéciale avec le Québec et qu’il faut réaliser ce genre d’action pour que les jeunes Québécois continuent de s’intéresser à la France, leur accorder plus de facilité à venir étudier ici. L’intervention de Louise Beaudoin était également un appel aux jeunes Français pour retrouver le dynamisme, l’attractivité que peut avoir la France par sa culture, par sa langue et son économie.
L’OL: Comment renforcer un peu plus la relation entre Français et Québécois ?
BB: Avec Francophonie sans frontières et notre vice-présidente, Marie-Astrid Berry, nous avons décidé de mettre en place une initiative qui est un cycle d’échanges et de rencontres, qui s’appelle Le chêne et l’érable, pour permettre à des jeunes Français et à des Québécois présents en France (aussi bien à Paris, qu’à Grenoble, à Lyon ou à Bordeaux) de se rencontrer. Nous avons fait le constat qu’il manquait des lieux de rencontre de ce genre. L’objectif et d’organiser des soirées de réseautage pour mieux appréhender nos réalités communes et la réalité des autres.
Je note que depuis mon retour en France, nous nous contentons un peu de l’écume d’une connaissance lacunaire du Québec. Je remarque et je déplore que dans les écoles et les universités, l’offre de cours sur cette région du Canada, sur la francophonie des Amériques et sur cette histoire que nous partageons avec les Québécois sont très peu enseignées. Il faut changer cela. C’est aussi la raison pour laquelle avec Francophonie sans frontières, nous allons démarcher des universités pour leur proposer des cours sur le Québec et sur la francophonie. C’est très important d’éduquer les jeunes Français à ces réalités qui font partie du monde. La francophonie fait partie de notre paysage, on ne peut pas l’évacuer comme ça.
L’OL: Pouvez-vous m’en dire plus sur Francophonie sans frontières et sur Le chêne et l’érable ?
BB: Francophonie sans frontières est une nouvelle organisation, dont le siège est à Paris et qui a une équipe à Montréal. C’est une association à visée internationale qui s’est donnée pour mission de favoriser la mobilité, les échanges et le co-développement au sein de la francophonie. Il y a un pôle dédié à la relation France-Québec et c’est à l’occasion de cette conférence que le cycle d’échanges Le chêne et l’érable s’inscrit.
Avec cette association, nous allons nous appuyer sur la librairie du Québec à Paris, sur un certain nombre de lieux conviviaux que fréquente la communauté québécoise au sein de la capitale. Nous faisons un peu l’inventaire de ce qui existe et nous allons y organiser des rencontres entre Français et Québécois. Nous espérons attirer essentiellement des jeunes pour lancer une dynamique. Ces rencontres vont se tenir notamment grâce à William Grenier-Chalifoux, qui est actuellement expert à l’Unesco, mais aussi avec d’autres français et québécois sous l’égide de Francophonie sans frontières. Il y aura aussi de temps en temps des conférences avec des personnalités québécoises ou françaises. Louise Beaudoin a en quelque sorte inauguré ce cycle du chêne et de l’érable à l’occasion de cette conférence.
(crédit photo: gracieuseté – Benjamin Boutin et Marie-Astrid Berry, fondateurs de Francophonie sans frontières)