Le moine bouddhiste d’origine française, Matthieu Ricard, rendu célèbre pour ses publications sur la spiritualité et ses engagements humanitaires, était à la TOHU de Montréal, les 29 et 31 octobre, afin d’offrir deux conférences sur le thème de l’altruisme.
Par Sarah Laou
« Développer l’altruisme est la solution de notre temps, lance Matthieu Ricard, le sourire aux lèvres. Il s’agit de travailler à une économie plus solidaire, à une plus grande justice sociale et à un monde meilleur pour les générations à venir », explique-t-il durant l’entretien accordé à L’Outarde libérée, le 29 octobre dernier, dans l’enceinte prestigieuse de la TOHU.
Originaire d’Aix-les-Bains en Savoie, Matthieu Ricard est le fils du philosophe académicien Jean-François Revel et de l’artiste peintre Yahne Le Toumelin. En 1972, alors titulaire d’un doctorat en génétique cellulaire, il décide de partir pour l’Himalaya et devient moine bouddhiste au monastère de Shechen au Népal. Décoré Chevalier de l’Ordre National du Mérite par le président François Mitterrand pour ses actions humanitaires, Matthieu Ricard est également un auteur à succès et l’interprète officiel du dalaï-lama en français. Par le biais de ses productions littéraires et photographiques, le moine souhaite promouvoir ce qu’il appelle « la banalité du bien » et exhorte les peuples à une prise de conscience collective. Son discours fédérateur invite à la responsabilité individuelle, à la générosité et aux actions solidaires concrètes.
[caption id="attachment_12497" align="aligncenter" width="640"] Matthieu Ricard lors de sa conférence à la Tohu (Montréal) sur l’altruisme (Rosenn Nicolle/L’Outarde Libérée)[/caption] Une série de conférences à Montréal et à QuébecPour sa cinquième visite au Québec, le Français tibétain offre une série de conférences au bénéfice des victimes des séismes au Népal : Plaidoyer pour l’altruisme, Plaidoyer pour les animaux et Introduction à la méditation. Ces conférences reprennent les thèmes majeurs de ses travaux et sont suivies de séances de dédicaces du dernier livre de l’auteur Vers une société altruiste paru aux éditions Allard en avril 2015.
Le moine, qui consacre l’intégralité de ses droits d’auteurs aux projets humanitaires menés par son association Karuna-Shechen, s’est dit très heureux de retrouver la province québécoise où il se sent à l’aise et accueilli par « un peuple ouvert et chaleureux ».
Souffrances animales, réchauffement climatique et végétarismeConnu pour ses prises de position en faveur de la cause animale, Matthieu Ricard a dénoncé les dérives de l’élevage industriel. Selon lui, s’il est injuste et immoral d’infliger des souffrances non nécessaires à des êtres vivants sensibles, l’élevage intensif cause également des dommages considérables à l’être humain et à l’environnement. Pour ce dernier, la tradition, la gastronomie ou la chasse ne peuvent être considérées comme des arguments moraux recevables ; ce système doit être aboli.
En effet, l’OMS publiait le 26 octobre dernier un rapport accablant sur la consommation de viande rouge et son caractère cancérigène pour l’Homme. Avec un risque de décès par cancer accru de 18%, la surconsommation de viande rouge s’avèrerait donc nocive pour la santé. En outre, elle représente toujours une menace pour la biodiversité et pour l’environnement. Selon les divers rapports des organisations internationales telles que la Food and Agriculture Organization of the United Nations, cette croissance continue de l’élevage représenterait l’une des causes principales de la pollution atmosphérique responsable du réchauffement climatique. Une situation alarmante qui sera d’ailleurs l’un des points discutés lors de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015 (COP21/CMP11) qui se déroulera à Paris du 30 novembre au 11 décembre prochain.
Voir la vidéo postée par Le Monde : 4 min pour comprendre le vrai poids de la viande sur l’environnement :
4 min pour comprendre le vrai poids de la… par lemondefrOptimiste quant à la prise de conscience des peuples, Matthieu Ricard cite l’exemple de la France où le nombre de végétariens a dépassé depuis quelques décennies le nombre de chasseurs. C’est une victoire pour ce brillant conférencier qui prône une diminution allant vers l’arrêt total de la consommation de chair animale. Néanmoins, Matthieu Ricard se défend de faire de la protection des animaux son unique préoccupation : « J’ai été étiqueté « protecteur des animaux » alors que je passe mon temps à m’occuper des humains ». Avec son association, il déploie des actions humanitaires en Inde, au Tibet et au Népal : « Nous soignons près de 120 000 personnes par an, nous avons 25 000 enfants dans nos écoles, et nous sommes venus en aide à plus de 270 000 personnes dans 574 villages lors des séismes. Alors, lorsque l’on me reproche de m’occuper davantage des animaux que des humains, j’ai envie de demander à ces gens ce qu’ils font, eux, pour les humains ? », plaisante-t-il.
Éveiller les consciences à la compassionPour le moine érudit, il s’agit avant tout de considérer l’interdépendance plutôt que de cultiver « le petit cocon de l’égocentrisme ». Il déclare : « Cette banalité du bien fait qu’il y a ce potentiel de bienveillance dans chaque être humain. La méditation permet de le développer ».
Depuis quelques décennies, les études en neurosciences ont démontré que la méditation avait un impact sur le cerveau et lui ont ainsi donné ses lettres de noblesse en Occident. Ainsi, Matthieu Ricard fait partie depuis 2000 du Mind and Life Institute, une association constituée de scientifiques émérites et de pratiquants bouddhistes (dont le dalaï-lama) qui explorent l’influence de l’entraînement de l’esprit à long terme sur le cerveau.
« La méditation permet de cultiver les qualités humaines fondamentales comme l’altruisme, l’attention ou l’équilibre émotionnel, explique Matthieu Ricard. En Orient, elle représente un chemin de transformation spirituelle et les bouddhistes n’ont pas attendu les données scientifiques pour considérer que cette pratique multimillénaire avait des effets sur l’esprit. En occident, d’un point de vue laïc et séculier, on reconnaît désormais que la méditation pleine conscience engendre des changements fonctionnels et structurels du cerveau après quelques heures d’entrainements. Elle est employée dans plusieurs hôpitaux dans le monde pour réduire la souffrance ou les stress majeurs. C’est extrêmement positif » se réjouit-il. Cependant, il met en garde contre les risques d’une utilisation de cette pratique à des fins d’augmentation du rendement et des profits dans le monde de l’entreprise. La méditation doit, selon lui, être bienveillante et favoriser la composante collaborative.
Agir pour la planète de façon universelle
« Je ne suis pas seul dans ma démarche sinon je me sentirais un peu comme Don Quichotte contre les moulins à vent, s’amuse-t-il. Il y a de plus en plus de monde dans le domaine de l’économie, des sciences, de l’environnement, de la psychologie, des travailleurs sociaux et des ONG qui œuvrent ensemble pour un monde meilleur. Je suis heureux de faire partie de ce mouvement », ajoute Matthieu Ricard qui se sent un « citoyen du monde ».
Il conclut notre entretien par une citation de Victor Hugo : « Il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont le temps est venu ». Pour ce philanthrope éclairé, l’altruisme représente l’avenir en marche.
Vidéo de Solidaris : Matthieu Ricard appelle à une économie plus solidaire Pour plus d’information sur les conférences et événements-rencontres : http://tohu.ca/fr/programmation/evenement/2015-2016/matthieu-ricard/ http://www.matthieuricard.org http://canada.karuna-shechen.org (Crédit Photo : Rozenn Nicolle)]]>