L’ancienne Garde des Sceaux, Christiane Taubira, a été très bien accueillie par les spectateurs de la Nuit des Idées, où elle a abordé la thématique soixante-huitarde de “l’imagination au pouvoir”.
Par Camille Balzinger et Jacques Simon
C’est aux côtés de plus de 100 villes dans 70 pays différents que Montréal a organisé une des nombreuses manifestations de la Nuit des Idées. Animé par Marie-Andrée Lamontagne, écrivaine et journaliste, quatre tandems ont parlé de « l’imagination au pouvoir », thématique choisie par l’Institut français pour les discussions de cette année. Parmi les intervenants se trouvaient notamment Alain Fleisher, artiste et directeur du Fresnoy, et Christian Taubira ancienne garde des Sceaux.
Quatre heures durant, les conversations se sont succédé. Ce qui aurait pu être une soirée longue et monotone a globalement réussi à tirer son épingle du jeu grâce à la diversité des intervenants. Pourtant, l’absence de réelle confrontation entre les invités s’est fait sentir. Toutes les interventions étaient mesurées et polies, les intervenants s’échangeaient des banalités sur mesure, et évitaient de repousser leurs co-panélistes dans leurs retranchements. Pour une soirée aux tonalités soixante-huitardes, on aurait pu espérer plus d’élans passionnés.
Derrière une programmation large, un thème règne
Ce clin d’œil à Mai 68, thème de la soirée en forme de slogan, les intervenants l’ont évidemment remarqué. Cinquante ans après les faits, le mouvement de grève qui avait traversé la France de De Gaulle fait encore parler de lui. Et pourtant, peu d’allusions ont été faites à la conscience de classe du prolétariat, et les drapeaux maoïstes se faisaient discrets.
La soirée a tourné autour d’un seul thème : la féminisation du pouvoir. Étudié sous un large éventail d’angles différents, c’est la présence disproportionnée d’hommes en situation de pouvoir qui a surtout été abordée.
Dans la foulée des mouvements #MoiAussi et Balance ton porc, beaucoup d’intervenants ont expliqué l’intérêt de libérer la parole ainsi que de faire entrer le féminin dans les lieux de pouvoir. Pour les femmes, “la vie privée est politique” rappelle Martine Delvaux. Ainsi, permettre aux femmes de rentrer dans les sphères du pouvoir, c’est aussi leur assurer la capacité à rester des femmes, et des mères, dans les lieux décisionnels. C’est notamment ce qu’a abordé Cathy Wong, présidente du Conseil de Montréal, qui est revenue sur l’idée d’avoir des garderies dans les bâtiments de l’administration publique ainsi que la possibilité d’allaiter pendant une séance.
Quant à Norman Mousseau, professeur de physique, il rappelle que la méthode scientifique ne porte ses fruits que lorsqu’on pose les bonnes questions. Or, “avoir plus de femmes en science, c’est aussi avoir une façon différente de poser les questions.”
Christiane Taubira, une invitée attendue
Largement ovationnée à son arrivée et accueillie par des cris de “Taubira, présidente !”, l’ancienne garde des Sceaux était clairement entourée de soutiens. Une heure durant, elle a parlé passionnément de sujets qui rappelaient les thèmes de son ministère. Droits des femmes, diversité, combativité ou protection du citoyen contre le pouvoir d’État sont autant de motifs qu’elle traitait déjà en tant que Ministre de la justice.
On a retrouvé la politicienne connue pour ses interventions impressionnantes à l’Assemblée, où la passion venait appuyer la vigueur de ses propos. Mélangeant philosophie, politique, anecdotes et humour, elle a su captiver l’audience et a largement empiété sur le temps de parole de sa binôme Cathy Wang. Cette dernière ne semblait pas gênée pour autant: elle aussi était largement sous le charme de son interlocutrice.
Comme lors de ses interventions publiques du temps de ses fonctions ministérielles, Taubira n’a pas manqué d’ardeur pour exprimer ses propos. “Nous ne serons pas patientes en attendant nos droits” a-t-elle scandé à l’égard de ceux qui auraient pu lui dire que la lutte féministe doit être faite par étapes. “Les institutions ne sont pas humaines, elles sont masculines” a-t-elle déclaré avant de décrire la devanture de l’Assemblée Nationale qui est difficilement accessible en talons.
De ses combats, Christiane Taubira en fait un enjeu universel. Interrogée par l’Outarde Libérée sur de ce qu’elle aimerait exporter du Canada vers l’Hexagone, elle a pointé “l’ambiance dans les universités, le rapport avec les enseignants, et la conception de l’autorité professorale”, thématiques qui rappellent bien l’inspiration soixante-huitarde de la soirée. Elle n’est pas la première politicienne à vanter les mérites du système éducatif canadien, ni la première à avoir des enfants qui ont choisi le Québec pour faire leurs études. Quant à son analyse de la situation actuelle, elle explique être optimiste “par tempérament”, mais souligne qu’elle voit “des dangers assez inquiétants”.
Taubira 2022, ce n’est pas pour demain!
Malgré l’enthousiasme avec lequel elle a été accueilli et les allusions plus ou moins discrètes à sa possible campagne électorale pour 2022, Taubira est restée ferme: “j’ai dit que je ne souhaitais plus de mandat électif, c’est toujours ma position” a-t-elle déclaré. À noter qu’il existe des fonctions, notamment ministérielles, qui ne nécessitent pas de mandats électifs.
Pourtant, celle qui s’était déjà présentée en 2002, s’est refusée de faire tout commentaire sur la politique française. “Je m’interdis, par éthique personnelle, de juger des personnes” a-t-elle répondu à Catherine Perrin de Radio Canada qui essayait de connaître ses impressions sur les acteurs politiques Français.
Mme Taubira reste une personnalité qui rassemble, porteuse de discours tant tranchés et déterminés qu’universels. À l’image de cette Nuit des idées, l’ex Garde de Sceaux a incarné et continuera, pour certains, d’incarner le progrès et l’espoir en les humains et la jeunesse.
(crédit photo: Archives l’Outarde Libérée)
Revoir La Nuit des idées Montréal: www.youtube.com/watch?v=4bfYaD6r4z8