Crédit visuel : Justine Latour
Cousins de personnes est une association basée à Paris qui milite pour promouvoir en France la littérature québécoise, contemporaine comme classique. Le bras armé du combat un peu fou de ses deux fondatrices québécoises, Mélikah Abdelmoumen et Marie-Noëlle Blais : un webzine éponyme qui n’a pas la langue dans sa poche.
“Nous avons la chance de partager la même langue, il serait heureux de ne pas hiérarchiser nos cultures ou nos littératures ne pas se prendre les pieds dans des frontières imaginaires, et aller à la rencontre véritable de l’autre”, explique en entrevue courriel Marie-Noëlle Blais, libraire à la Librairie du Québec à Paris et cofondatrice de l’association Cousins de personne.
Si les Français traversent l’atlantique sans encombre avec près de 120 000 ressortissants pour la seule Belle Province, il semblerait que la littérature québécoise se heurte à de nombreuses frontières au pays de la langue de Molière. C’est en tout cas de ce constat que sont parties Mélikah Abdelmounem, romancière québécoise, et Marie-Noëlle Blais quand elles ont décidé de monter leur association fin août 2012.
“Cousins de personne est né d’une correspondance amorcée suite à la mise en ligne d’un billet de Mélikah Abdelmoumen sur son blogue, en juin 2012, raconte Marie-Noëlle. Ce texte faisait écho à un besoin et une urgence que je ressentais depuis plusieurs années depuis mon poste de libraire à la Librairie du Québec : une déception de voir que les textes voyagent mal, que la curiosité est limitée, que la méconnaissance du Québec est quasi généralisée, que les clichés sont résistants.”
Entre vision folklorique et tentation assimilatrice
Pays de grande tradition littéraire, La France souffrirait d’une sorte de snobisme intellectuel et peinerait à reconnaître pleinement les littératures francophones. Marie-Noëlle Blais estime en effet que certains éditeurs français abordent la littérature québécoise, mais aussi la littérature belge, suisse et régionale avec des oeillères. Selon elle, deux critères primeraient au moment de l’édition d’un livre québécois en France. “Soit le récit est très québécois, balisé dans un espace ou un thème précis, ce qui va aider l’éditeur à le vendre comme “roman québécois”, donc exotique, analyse-t-elle, soit le récit aura une portée plus “littérature monde” et l’éditeur prendra alors le parti d’en faire un “roman français”, noyé dans ce que la plupart appelle la “littérature française”, donc rayonnante”.
Elle dénonce en filigrane une volonté assimilatrice de la part des maisons d’éditions françaises dont certaines s’emploient même à “adapter” les romans québécois pour leur donner un accent plus français. Il en résulte un paradoxe : le lecteur français ignore parfois qu’il est en train de lire un auteur québécois. À ce sujet, cette passionnée de livre ne mâche pas ses mots : “ Nous oserions conseiller à ces obligeants éditeurs de s’éviter cette vaine peine, puisque ces aspérités qui les déstabilisent sont inhérentes à tout échange entre cultures voisines… ou cousines. Toute personne avisée sait que le marché actuel ne demande pas autant de zèle, bien au contraire, il est en demande d’un universel authentique.”
Au diktat du sérail littéraire, Marie-Noëlle Blais oppose alors un principe universel pour que cet art vive : la curiosité du lecteur (professionnel ou non). La libraire se montre alors plus optimiste : “En grossissant le trait, après 100 ans à lire Maria Chapdelaine (…) nous observons depuis plus d’un an, à la Librairie du Québec, un nouveau lectorat, plus ouvert, plus enclin à regarder le Québec tel qu’il est… foncièrement différent de la France, mais pas non plus calqué sur l’image fixe que les Français s’en font depuis belle lurette.”
Sortir d’une relation figée
Pour laisser libre court au flot littéraire, Cousins de personne adopte une stratégie de promotion de la lecture par l’éducation, afin de se distancier des grands prescripteurs culturels que sont les prix littéraires, les éditeurs hexagocentrés et les buzz médiatiques. Marie-Noëlle insiste : “L’objectif premier est de sortir du rapport mère patrie et enfants francophones, Paris versus régions, Hexagone versus… tous les autres ; limiter toute idée de domination culturelle de l’un ou de l’autre, toute condescendance, toute forme de rapport de force et ainsi permettre davantage d’échanges basés sur l’égalité et la reconnaissance mutuelle.”
Le premier numéro de Cousins de personne sort en novembre 2012. On y trouve des “Coups de gueule”, des dossiers, des portraits, et même un guide pour trouver des livres québécois en France. À l’occasion de la semaine de la langue française et du Salon du livre de Paris en mars 2013, le webzine fait même paraître un numéro hors-série, Dis-moi dix mots, dans lequel 10 auteurs québécois avaient pour contrainte d’écrire un court texte en utilisant les dix mots de la Semaine de la langue française et de la francophonie ; l’occasion de mettre à l’honneur “la diversité et de la polyphonie de la littérature québécoise” d’après Marie-Noëlle Blais.
Toutefois, Cousins de personne veut aller plus loin. L’association organise régulièrement des lancements, des rencontres, des tables rondes avec des libraires, des bibliothécaires, des enseignants, des éditeurs, des lecteurs.
“Nous comptons mettre en lumière de véritables échanges littéraires, sur ce terrain virtuel qu’est le webzine, mais également sur le terrain réel : faire se rencontrer des auteurs québécois et français et belge et suisse et tunisien et algérien et haïtien, avec les passeurs de mots. Question de faire un magnifique pied de nez à toute forme de frontières géographiques ou mentales et réhabiliter la véritable altérité”, conclut la libraire.
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Mélikah Abdelmoumen est l’auteure de plusieurs romans. Elle vit en France depuis juillet 2005. En août 2012, elle fonde avec Marie Noëlle Blais l’association Cousins de personne, dédiée à la promotion de la littérature québécoise en France. Son prochain roman paraîtra chez VLB éditeur à l’automne 2013.
Marie-Noëlle Blais : À la suite d’études littéraires entre le Québec et la France, Marie Noëlle Blais devient libraire à Paris en 2004. En 2012, après une correspondance avec Mélikah Abdelmoumen, elle co-fonde l’association Cousins de personne.