Par Stéphane Sockeel, Cyril Quennouelle,
Nicolas Druet, militants du
Mouvement Démocrate (MODEM), Section Canada,
Montréal
Le texte final de l’accord de libre échange entre l’Union Européenne et le Canada, intitulé « accord économique et commercial global » (AECG ou CETA en anglais), a été signé ce vendredi 26 septembre à Ottawa, dans une relative indifférence médiatique, aussi bien en Europe qu’au Canada.
En créant cette vaste zone de libre échange, sur un modèle proche de l’ALÉNA ou du marché commun européen, ce traité a pour but de consolider les relations commerciales entre deux partenaires déjà très liés (l’Union Européenne étant le 2ème partenaire commercial du Canada) et de favoriser les investissements de part et d’autre de l’Atlantique.
Malheureusement, sous couvert de protéger les investisseurs, le CETA inclut un mécanisme inédit pour les Européens : l’ISDS (Investor-State Dispute Settlement). Ce mécanisme bafoue des principes démocratiques élémentaires et est pour nous inacceptable.
C’est pourquoi nous appelons tous les acteurs politiques à dénoncer cet accord en l’état.
L’ISDS, qu’est ce que c’est ?
L’ISDS est le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et états. Il est en fait un tribunal privé chargé d’arbitrer les conflits et en particulier de veiller à ce que les états n’exproprient pas les investisseurs étrangers.
Il nous apparaît normal pour favoriser les échanges de sécuriser les investissements d’expropriations ou de nationalisations arbitraires des gouvernements.
Mais le diable étant dans les détails, le traité considère une décision législative pouvant nuire aux bénéfices attendus d’un investissement comme une expropriation.
En clair, une entreprise peut traîner devant ce tribunal privé un état qui aurait promulgué une loi nuisant à ses bénéfices réels ou à venir. On est loin du cas de figure d’un despote communisant voulant faire main basse sur les banques et actifs d’investisseurs étrangers.
Expérience de l’Amérique du Nord
Français du Québec et du Canada, nous sommes à double titre concernés car l’accord définit les relations commerciales entre notre pays d’accueil et notre pays d’origine. De plus, nous sommes témoins des effets pervers de ces mécanismes prévus au chapitre 11 du traité de l’ALENA qui font par exemple qu’aujourd’hui, une compagnie américaine se permet de demander des compensations suite au moratoire québécois sur l’exploitation des gaz de schiste.
Le World Investment Report de l’ONU lui-même fait un bilan calamiteux de ce mode d’arbitrage, mentionnant que dans 60% des 514 cas répertoriés pour la seule année 2012, les États sortaient perdants. Pire, il mentionne des dysfonctionnements majeurs dont entre autres, la tendance pour les entreprises à ouvrir des succursales dans les pays signataires de ces traités pour pouvoir en attaquer un autre, les coûts afférents aux états, la qualité et l’indépendance des panels d’arbitrage douteuses ainsi que l’opacité, voir la totale confidentialité des décisions. Pour couronner le tout, les décisions du tribunal sont sans appel…
Principes démocratiques mis à mal
La base de nos principes démocratiques est que les décisions (notamment en matière de santé, d’éducation, de protection des consommateurs, de stratégies énergétiques, etc…) prises par les états doivent être au dessus des intérêts commerciaux, même – et surtout – en période de difficultés économiques.
Qu’un état ait à répondre de son pouvoir souverain de légiférer envers une justice privée sur des critères de rendements économiques est l’exact contraire de l’esprit démocratique.
Ce sont les acteurs économiques qui doivent se soumettre aux règles édictées par les législateurs et ajuster leurs modèles et pratiques pour satisfaire aux exigences du bien commun.
Comme d’habitude, la position de la France est inaudible.
La position de la France dans ce dossier est des plus ambiguës. Alors que le gouvernement devrait être en pointe pour défendre la prédominance de l’état, il ne semble pas prêt à définir une position claire ou à mener l’opposition contre la ratification de ce traité en l’état.
C’est l’Allemagne qui est aujourd’hui en pointe pour faire évoluer le traité et qui a fait pression dans les derniers jours sur les négociateurs pour infléchir (sans succès il est vrai) le texte.
Français du Canada, nous avons le double devoir (en tant que principaux intéressés et également témoins privilégiés du modèle proposé) de dénoncer le contenu du CETA et de mettre en garde contre ses effets néfastes.
Aussi, nous demandons à notre député Monsieur Frédéric Lefebvre de se prononcer sur ce traité, ainsi que sur celui entre l’UE et les États-Unis dont le CETA servira de modèle.
Nous appelons également nos autres élus (sénateurs, conseillers consulaires, conseillers AFE et bien sûr députés européens) à faire remonter au gouvernement français les inquiétudes de nombre de nos compatriotes.
Nous invitons enfin tous les partis politiques à mener une réflexion transpartisane sur ce sujet et également à lancer des actions communes visant à informer nos concitoyens et à dénoncer le contenu de ce traité. Le Mouvement Démocrate (MoDem) a depuis longtemps fait connaître son opposition à cette disposition inacceptable et son scepticisme sur d’autres clauses incluses dans les traités en négociations avec le Canada et les États-Unis. Pour une bonne présentation des enjeux, nous vous invitons par exemple à relire la tribune rédigée par Jean Arthuis, tête de liste UDI-MoDem aux européennes en mai dernier.
Ayons le courage d’être acteurs de notre politique.
Mobilisons nous contre le CETA le 11 octobre dans toute la France –> http://stoptafta.wordpress.com/2014/10/01/11-octobre-2014-mobilisations-journee-daction-contre-le-tafta-le-ceta-et-le-tisa/