En conférence à Montréal la semaine dernière, le Commissaire européen, Pierre Moscovici, s’est livré à un plaidoyer contre les mastodontes du numérique, champions du « dumping fiscal », et a défendu sa réforme fiscale européenne qu’il veut en exemple pour le reste du monde.
« Si nous réussissons, tout le monde le fera », affirmait Pierre Moscovici le 18 avril dernier lors d’un déjeuner-conférence organisé par le Conseil des Relations Internationales de Montréal (CORIM). Devant un parterre de décideurs montréalais, entourés de Carlos Leitao, ministre des Finances du gouvernement du Québec, de Pauline Marois et Pierre-Marc Johnson, tous deux anciens Premiers ministres du Québec, mais aussi de Louise Beaudoin, ancienne ministre du gouvernement du Québec, Pierre Moscovici a présenté le cadre fiscal qu’il veut mettre en place dans toute l’Europe, avant les élections européennes de 2019, pour lutter contre l’optimisation fiscale des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).
« Nous devons réviser notre cadre fiscal, et faire entrer la fiscalité des entreprises dans le 21ème siècle », a justifié l’ancien ministre de l’Économie et des Finances français. Selon lui, le système d’évitement fiscal des entreprises du numérique s’appuie sur un vide juridique et sur des règles fiscales obsolètes. La présence digitale n’a pas besoin de présence physique, qui est la base de l’imposition. « Elles génèrent de la valeur sans présence physique », remarque M. Moscovici.
Payer leur juste part d’impôt
Le Commissaire européen veut mettre en place une taxe temporaire de 3% sur le chiffre d’affaires des entreprises numériques, afin qu’elles « payent leur juste part d’impôt ». Sur un principe déclaratif, cette taxe rapporterait cinq milliards d’euros à l’Europe.
Il ajoute que cette mesure serait bonne pour l’image des GAFA, actuellement écornée par l’affaire Facebook. Il va plus loin en affirmant que « la montée du populisme en Europe repose également sur le ras le bol fiscal ». « Les classes moyennes ont mis la main à la poche tandis que Apple est imposé à 0.05% en Irlande », explique l’ancien ministre français qui a lui-même ajouté la controversée CSG-CRDS sur les revenus immobiliers des non-résidents français en 2012.
Il rappelle que ces nouveaux acteurs du numérique pèsent pour 4% du PIB européen et ont des taux de croissance de 14% par an.
En revanche, Pierre Moscovici n’a pas souhaité commenter l’optimisation fiscale faite par la Caisse des Dépôts et Placements du Québec dans certains pays, ni le cadeau fiscal dont a bénéficié Netflix au Canada. Il n’est pas abonné…
Un statut européen de lanceur d’alertes
« Ça passe par la lutte contre les paradis fiscaux et la transparence fiscale », explique le Commissaire européen. D’autres mesures viendront donc accompagner cette taxe européenne : Plus de secret bancaire en Europe, des listes noire (9 pays) et grise (62 pays) des paradis fiscaux, communes aux 28 pays de l’Europe, la transparence des intermédiaires, comme les avocats, les banquiers, les conseillers juridiques et fiscaux, et la protection des lanceurs d’alerte et des journalistes.
Il annonce d’ailleurs la création d’un statut européen de lanceur d’alerte qui, selon lui, joue un rôle majeur dans la révélation des scandales.
Reste à convaincre l’ensemble des 28 pays de l’Union Européenne pour mettre en place ces mesures qui exigent l’unanimité. « On a plus à gagner d’un cadre commun que d’un empilement de mesures », plaide le Commissaire européen, qui a affirmé devant son auditoire être « déterminé, optimiste avec lucidité, mais décidé à mordre l’os et ne pas le lâcher ».
Entrevue avec Pierre Moscovici recueillie par Nathalie Simon-Clerc: « C’est un projet profondément politique »
Les conférences du CORIM: https://www.corim.qc.ca/fr/7/Tous_les_evenements
(crédit photo: Nathalie Simon-Clerc)