Paul Duan et Jean-Noé Landry étaient au rendez-vous de la première conférence Possibles, animée par le présentateur radio Matthieu Dugal.
Texte par Romain Lambic, photo par Esplanade
L’Esplanade et la Fondation J. Armand Bombardier ont organisé le 16 septembre la première conférence de la série Possibles, au Planétarium Rio Tinto Alcan de Montréal. Articulée autour de deux invités de marque dans l’entrepreneuriat social, le Québécois Jean-Noé Landry (cofondateur et directeur général de Nord Ouvert) et le Français Paul Duan (cofondateur et Pdg de Bayes Impact), la conférence avait pour but de « proposer une réflexion ouverte et critique sur les enjeux soulevés et les opportunités permises par l’utilisation des données au service des communautés, soulignent les organisateurs. Face à l’effervescence technologique des dernières années et aux craintes soulevées quant à l’utilisation des données, nous devons repenser la façon de concevoir l’utilisation des nouvelles technologies ».
Nord Ouvert au cœur des villes intelligentes
Jean-Noé Landry a fait part de son expérience avec Nord Ouvert (ou Open North), qui travaille avec des administrations publiques pour les aider à « développer leur utilisation efficace, éthique et collaborative des données et de la technologie, dans le but de résoudre des problèmes complexes ». Peu après sa création en 2011, qui coïncide avec la Commission Charbonneau et la première politique montréalaise des données ouvertes, l’OBNL a entre autres développé des applications permettant de géo-localiser les patinoires de la ville avec la meilleure qualité de glace (PatinerMontreal.ca), de mettre en avant les données de salubrité des restaurants montréalais (RestoNet) et d’impliquer les citoyens dans les processus budgétaires (BudgetCitoyen.com, service utilisé dans plus de 120 villes au Canada et dans le monde). Aujourd’hui, Nord Ouvert met en place des solutions pour accompagner le développement des villes intelligentes. « Nous adoptons ici un rôle d’infomédiaire (sic). (…) Nous créons des ponts entre différentes parties prenantes qui peuvent tirer parti des données et nous aidons à les contextualiser de manière éthique. Nous avons reçu un label de la part du gouvernement fédéral pour mettre en place un nouveau service individualisé pour les villes ouvertes et intelligentes. Nous travaillons présentement avec une cinquantaine de villes canadiennes, que nous mettons en relation les unes les autres ».
Le pari Bayes Impact
De son côté, le jeune entrepreneur social français Paul Duan a tenté un pari fou en quittant son job d’expert en science des données chez Eventbrite pour cofonder son OBNL, Bayes Impact, afin de « mettre l’intelligence artificielle au service du bien commun, la technologie au service de l’impact social ». L’objectif de son organisation, qui a notamment intégré en tant qu’ONG Y Combinator – l’un des plus prestigieux incubateurs de la Silicone Valley, est d’utiliser les données pour « décupler les pouvoirs d’action » et leur donner un vrai impact sur la société. Depuis sa fondation en 2014, Bayes Impact a notamment permis de réduire les fraudes sur les micro-crédits aux entrepreneurs au Ghana et au Kenya et a accompagné 800 agences de police en Californie pour prévenir et réduire les violences policières. En France, Bayes Impact a développé un outil en ligne d’accompagnement au retour à l’emploi, baptisé Bob, qui a jusqu’à présent bénéficié à environ 200 000 personnes – l’OBNL tente d’exporter ce modèle dans d’autres pays. Pour Paul Duan, c’est un moyen de « repenser la façon d’impacter les services publics ».
La technologie : un amplificateur de pouvoir
« C’est important de réfléchir à des modèles alternatifs quant à l’utilisation et à la gestion des données. Côté grand public, il y a une vision très manichéenne : soit la technologie va nous sauver, soit elle va tous nous tuer. On ne perçoit pas tellement cette vision nuancée qui voit la technologie pour ce qu’elle est : un formidable amplificateur de pouvoir. Les personnes qui conçoivent les algorithmes décident finalement pour l’ensemble du marché comment ça va fonctionner, à l’image d’Uber ou de Google. Ce dernier fonctionne car il propose des produits qui nous rendent tous service. (…) On a souvent tendance à penser que la Silicon Valley c’est le mal, mais c’est juste un très bon système d’optimisation du capital. On y fait les choix qui vont rapporter le plus d’argent. (…) Il faut déconstruire ce système. Notre pari est de montrer qu’il y a une autre façon de concevoir la technologie. Je pense qu’il peut y avoir de la valeur ajoutée en alliant la technologie à l’intérêt général et en développant des systèmes qui permettent par exemple d’éveiller les consciences », expose Paul Duan.
La prochaine conférence de la série Possibles sera organisée en janvier 2020 au Biodôme de Montréal, avec pour thème « Innovation sociale et Sphères publique et philanthropique ».