Yves-Marie Abraham est de ceux qui cassent les codes. Membre du mouvement québécois pour une décroissance conviviale, il est également professeur au département de management d’HEC Montréal, après avoir étudié à HEC Paris. Portrait d’un Français à contre-courant au Québec.
« J’ai intégré la bête de l’intérieur », explique Yves-Marie au sujet du doctorat en sciences de gestion qu’il a effectué à HEC Paris, avant de s’envoler pour le Québec, il y a treize ans. Issu d’une famille d’artistes, étudiant en littérature puis en sociologie en France, au départ, rien ne le prédestinait à intégrer la prestigieuse école de commerce et à y enseigner. « J’ai découvert le monde de l’entreprise lors d’un emploi à la TNS-Sofres et je me suis dit que c’était un enjeu central », croit-il.
S’il admet rester « un marginal », il s’est vite senti libre d’exposer ses idées. « HEC Montréal est un endroit atypique, où depuis longtemps des personnes critiquent le capitalisme », explique-t-il. Un aspect intéressant pour Yves-Marie qui confesse apprécier également l’approche pédagogique québécoise, plus centrée sur les besoins des étudiants.
Mission : changer le monde
Bien plus qu’une simple « critique » du capitalisme, les membres du mouvement de la décroissance conviviale, que l’on appelle aussi décroissance soutenable, remettent totalement en question notre mode de vie actuel. « L’originalité de la décroissance, c’est de combiner la critique écologiste et le caractère destructeur de la croissance, avec la critique socialiste qui consiste à dire que le capitalisme est injuste, et une critique plus philosophique qui consiste à dire, qu’en plus, le modèle avec lequel nous vivons est fondé sur l’existence de la techno-science qui nous met dans des positions de dépendance extraordinaire », avance le professeur.
Alors, quelles sont les solutions prônées par les « décroissancistes »? Sortir de la croissance et « réapprendre à vivre ». « La marchandise s’est imposée comme seul moyen de subvenir à nos besoins, donc on ne sait plus rien produire nous même », pense Yves-Marie. « On pourrait essayer de mettre en place des formes d’auto-productions et se demander : ici à Montréal de quoi à-t-on vraiment besoin? », renchérit-il.
« Réapprendre à vivre » selon la décroissance conviviale, cela signifie vivre avec moins. « On veut réduire la production avant tout », précise M. Abraham. Cela signifie également vivre de façon plus indépendante vis à vis des technologies et des machines. « Dépendre de quelques personnes ce n’est pas très grave, mais dépendre d’industries lourdes qui requièrent des moyens énormes sur le plan énergétique, c’est plus inquiétant », estime Yves-Marie . Ainsi, le mouvement est opposé à certaines des solutions apportées par le développement durable, comme la voiture électrique.
Prendre en compte la réalité
Les critiques à l’égard du mouvement ne manquent pas : « On nous traite de Bisounours », raconte Yves-Marie. Très lucide sur le caractère utopique du projet de la décroissance, il confesse connaître des jours « avec » et des jours « sans ». « Mais, si la décroissance conviviale est une idée utopique, penser qu’on peut continuer sur le modèle actuel me parait l’être encore plus », affirme-t-il. « Les vrais rêveurs sont ceux qui veulent relancer la croissance », émet-il.
Au fond, Yves-Marie Abraham est inquiet pour l’avenir de ses enfants. « L’empoisonnement chimique de notre environnement qui crée des problèmes de fertilité, les taux de cancers, le réchauffement climatique… On est train de s’auto-détruire », argumente-t-il. Même quand il s’interroge sur les conditions qui pourraient permettre à la société d’avoir plus de considération pour les idées du mouvement de la décroissance conviviale, il se montre préoccupé. « Est-ce qu’on peut changer sans qu’il y ait des rapports de force violents », s’interroge-t-il.
M. Abraham note cependant de plus en plus d’intérêt de la part de ses étudiants pour des idéologies alternatives. « Il y a douze ans j’étais tout seul devant ma classe avec mes idées de gauche, aujourd’hui, j’ai des étudiants qui sont plus intenses que moi et les pro-capitalistes n’osent plus parler », avoue-t-il.
(crédit photo : Maëlle Besnard)
]]>