Hélène Séguinotte évolue dans l’univers masculin de l’industrie aéronautique depuis 27 ans. Cette béarnaise de 58 ans est arrivée au Canada il y a 15 ans pour implanter la 10e filiale du Français Turbomeca, aujourd’hui Safran Helicopter Engines. À Montréal, elle a rencontré des valeurs qui lui correspondent… et son mari.
« Il est plus facile de percer et d’arriver à de hautes responsabilités au Canada », assure Hélène Séguinotte. Diplômée de l’École Supérieure de Commerce de Pau, la Déléguée générale de Safran et PDG de Morpho Canada, sait de quoi elle parle. En France, elle a vécu ce qu’elle appelle « la résistance passive » dans le monde industriel dans lequel elle évoluait. « On ne te confiera jamais la direction d’une filiale car tu es une femme et tu n’es pas ingénieure », a-t-elle entendu à maintes reprises. Elle concède avoir eu recours, pour la seule fois de sa vie, à des antidépresseurs, pour éviter le « burnout ». « Ça use, ça ronge, cette résistance… », lâche-t-elle.
L’univers anglo-saxon laisse la place aux femmes
Pourtant, c’est à Munich dans les années 2000, dans un univers anglo-saxon, qu’elle prend conscience qu’être une femme est aussi un atout dans le monde des affaires. Elle devient directrice commerciale d’une joint-venture de coopération internationale qui impliquait Turbomeca, pour la conception, la production et la livraison du moteur de l’hélicoptère Tigre. « J’ai découvert ma capacité à aller chercher le consensus dans un univers multiculturel, ce fut une révélation », se réjouit-elle, avant d’ajouter qu’elle s’est sentie « respectée et écoutée » alors qu’on ne lui avait renvoyé que son absence de « background technique » jusqu’alors.
Mme Séguinotte assure qu’une femme va être capable d’utiliser son intelligence émotionnelle pour arriver au consensus et consolider une entente dans laquelle chacun va se sentir engagé.
Forte de cette expérience, elle fait ses valises pour Montréal en 2002, pour implanter Turbomeca Canada. Elle rend hommage au PDG qui lui a confié cette mission, alors que, dans le schéma « classique » de l’entreprise, il fallait être ingénieur et doté d’une expérience industrielle pour prendre la direction d’une unité industrielle.
L’usine, dans les Basses-Laurentides, sort de terre en 2003. « C’est de loin la plus belle expérience de ma carrière et la plus grande aventure humaine de ma vie professionnelle », lance la cheffe d’entreprise.
Déléguée générale de Safran, elle devra laisser « son bébé » continuer sans elle dans quelques semaines, puisqu’elle a pris, en 2011, la direction de Morpho Canada, la filiale canadienne de la branche « sécurité » de Safran, actuellement en cours de session à Advent International. À l’issue de cette transaction, Morpho, fusionnée avec une autre française du secteur, Oberthur Technologies, va devenir un des leaders mondiaux des technologies d’identité biométrique.
Réduire la course d’obstacles des jeunes générations
Au Québec, elle a rencontré les valeurs de consensus et de travail en équipe auxquelles elle croit et… son mari. D’ailleurs, en cette saison des sucres, les fins de semaine sont chargées car le couple possède une érablière et fait son propre sirop d’érable.
Mais cette battante participe aussi à de nombreux projets. Elle fait partie des huit entrepreneurs à l’initiative de la labellisation « French Tech » de Montréal, baptisée Bleu Blanc Tech. « Ça me redonne le goût d’innover et de créer, c’est l’avenir! », argumente-t-elle. D’ailleurs elle se réjouit que de nombreuses jeunes filles deviennent ingénieures et se lancent dans l’entrepreneuriat. Auparavant, le réflexe typique d’une femme, selon elle, était : « je ne sais pas si je suis capable ».
Elle est aussi engagée depuis 2009, en tant que mentor dans l’association Ton Avenir en Main (TAM), dont la mission vise à développer le leadership de jeunes filles de 15 à 20 ans, « afin qu’elles puissent gravir les échelons plus vite et partir avec un capital confiance, pour que la course d’obstacles soit moins longue ». Elle a confiance dans la jeune génération qui a « beaucoup moins de complexes » et croit que les jeunes pousseront pour supprimer la Journée de la femme et les « quotas ». D’ailleurs, elle préfèrerait que cette journée n’existe pas. « Une journée pour les femmes et 364 jours pour les hommes? », ironise-t-elle.
Née au pied des Pyrénées, Hélène Séguinotte n’a pas oublié les lois de la montagne et la nécessité de travailler en équipe, « en cordée ». Elle a fait sienne cette phrase de Sénèque : « Ce n’est pas parce que c’est difficile que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que c’est difficile ».