Jean-François Kahn en conférence à l’Université de Montréal le 14 mai dernier
crédit photo : Nathalie Simon-Clerc
Mercredi dernier, le journaliste et essayiste français Jean-François Kahn était l’invité des Belles Soirées de l’Université de Montréal pour commenter la première année de la présidence de François Hollande. Cette intervention prend une résonance particulière alors que le président français tenait hier sa seconde conférence de presse depuis le début de son quinquennat, au moment où on annonçait le retour de la France en récession.
Fidèle à son personnage anticonformiste et ses formules accrocheuses, Jean-François Kahn a rapidement donné le ton de sa conférence en interpellant directement son public venu en nombre l’écouter. “François Hollande a-t-il été élu président, et à travers lui la gauche a-t-elle remporté la victoire ou est-ce Nicolas Sarkozy qui a été battu?”, interroge ce spécialiste de la polémique. Derrière lui, sur le tableau blanc du grand amphithéâtre qui l’accueille, se reflète la photo du président François Hollande, dont l’élection marque pour l’essayiste, La catastrophe du 6 mai, titre de son dernier essai paru chez Plon, en juin 2012.
La défaite cachée
Afin de comprendre la France post-Sarkozy, le journaliste se propose de repartir à la base, et d’analyser l’élection présidentielle dans ce qu’elle a vraiment dit. Son constat est sans appel : derrière la victoire de la Gauche, se cache en réalité sa défaite idéologique, et l’échec d’un homme “dont le discours ne passe pas”, assène Jean-François Kahn. Un diagnostic confirmé au lendemain de l’intervention du président par le sondage BVA pour i>Télé et Le Parisien avec 63% de ceux « qui ont vu ou entendu parler » de la conférence de presse de François Hollande et ne l’ont pas trouvé convaincant.
Jean-François Kahn reconnaît des qualités au président socialiste dans sa modération, et sa volonté de prudence, il se demande néanmoins si ce sont les dispositions adéquates au coeur d’une crise paroxystique. Pour lui, François Hollande reste un social-démocrate convaincu. Or, au regard des dernières élections en Europe, on observe que, partout où la gauche aurait dû remporter les élections, les droites plus ou moins populistes se sont imposées. L’essayiste extrapole à la situation française : “Au premier tour de la présidentielle, rappelle-t-il, toutes les gauches unies dans le rejet de Nicolas Sarkozy ont récolté 43% des suffrages, alors que toutes les formes de droites ont réuni 47 % des voix, on peut dire d’une certaine façon que la droite avait gagné.”
Socialiste ou social-démocrate?
Jean-François Kahn attribue ces revers de la social-démocratie à son incapacité à renouveler sa programmatique. Il soulève le paradoxe d’une idéologie progressiste et réformiste qui a commis l’erreur de se rallier à la logique néolibérale à la veille de la crise de 2008. Cette mauvaise lecture se traduirait aujourd’hui dans l’électorat français par un triple rejet : celui du laxisme d’après mai 1968, celui du capitalisme financier, et celui de l’européisme. Selon le journaliste, le Parti socialiste se trouverait à la conjonction des trois, alors qu’à l’inverse, Marine Le Pen en ferait la synthèse. “Il y a incontestablement un vrai risque d’une montée de l’extrême droite en France”, prévient-il.

Même si Jean-François Kahn utilise la provocation afin de marquer les esprits, il tente de répondre à la question que bon nombre d’observateurs se posent : “Comment se positionne le président François Hollande?” Et la réponse, que donne lui-même le chef de l’État, confirme les ambiguïtés révélées par le journaliste : “ Qui suis-je? C’est une question terrible, affirme François Hollande en conférence de presse. Il ajoute : “ Je suis socialiste. Ai-je besoin de me dire social-démocrate? Est-ce que ça serait mieux de me dire social-démocrate?(…) Je suis pour la compétitivité, je suis un socialiste qui veut faire réussir la France. » Social-démocrate pour Kahn, socialiste pour lui-même, le discours présidentiel est bel et bien flou sur ses intentions.
L’impasse des clivages traditionnels et l’union nationale
“C’est parce que François Hollande ne porte pas de projet que sa côte de popularité baisse”, estime Jean-François Kahn. Il développe : “Le gouvernement socialiste ne fait pas assez de pédagogie, il ne s’adresse pas aux Français pour expliquer sa politique et il refuse l’ouverture.” En effet, le journaliste appelle de ses voeux une transformation du système institutionnel français afin de rétablir une réelle représentativité au Parlement. Il dénonce le mode de scrutin majoritaire privant les petits partis de sièges et favorisant les grosses machines politiques et les alliances électoralistes qui restent lettre morte une fois les élections terminées, et empêchent d’obtenir des majorités claires.
“Avec une majorité avec 60% de députés, et seulement 20% d’opinion réelle derrière soi : impossible de réformer sur une base sociale si étroite”, raille-t-il.
Le journaliste et historien de formation attribue la paralysie de la France, à nouveau plongée dans la récession économique, au binarisme idéologique caractéristique de l’Hexagone. Proche du discours centriste du Modem, il propose en écho à François Bayrou, un gouvernement d’union regroupant toutes les volontés politiques d’accord sur les points essentiels d’un projet commun. Une idée balayée par François Hollande qui déclarait hier : “Je suis pour le consensus, mais parfois on me demande si je suis pour un gouvernement d’union nationale. Non, il y a une majorité, une opposition, et chacun doit être à sa place. (…) Il ne peut pas y avoir un gouvernement qui rassemble les uns et les autres au risque d’une confusion avec les extrêmes.”
Pour les deux conférenciers, l’exercice fut de taille pour terminer sur une note positive. À 75 ans, Jean-François Kahn continue d’espérer que la France continuera à jouer un rôle moteur. “Si j’avais 25 ans, je serais enthousiaste, car nous sommes à un moment où le système est arrivé à son terme”, interpelle-t-il à l’instar de Stéphane Hessel, les quelques jeunes dans la salle. Fidèle à son humour bonhomme, et peut-être avec un peu de maladresse, François Hollande a de son côté conclu : “Merci, et rendez-vous ou dans la rue ou dans 6 mois.” Il s’adressait bien sûr aux journalistes, toutefois c’est souvent dans la rue que les Français donnent rendez-vous à leurs gouvernants.
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A propos de Jean-François Kahn
Jean-François Kahn, journaliste et écrivain français, historien de formation. |
Une conférence fort intéressante où J-F Kahn a réussi a nous faire prendre de la hauteur pour comprendre les raisons de la crise politique française qui semble ne jamais finir de s’enfoncer.
Il propose aussi quelques pistes pour continuer d’espérer et de croire qu’un changement pour le mieux pourrait arriver.
En particulier, le passage où il explique que la révolution française de 1789 s’est jouée lorsque, pendant les états généraux convoqué par Louis XIV, quelques membres du clergé et quelques membres de la noblesse sont sortis de leur salles respectives pour aller discuter avec le tiers-états. C’était assez émouvant, d’imaginer le courage et l’audace qu’il a fallut à ces gens pour briser de telles barrières dressées depuis si longtemps dans la société française.
À moindre échelle, j’attends plein d’espoir le jour où des gens de l’UMP et du PS accepteront de travailler ensemble pour le bien de tous.